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5 PDG de géants des télécoms signent une lettre contre les amendements du Parlement européen
samedi 26 février 2005, par
Les dirigeant d’Alcatel, Ericsson, Nokia, Philips et Siemens ont signé, le 7 novembre 2003, une lettre à destination de la Commission européenne et du Conseil de l’Union europénne, se plaignant des amendements du Parlement européen à la proposition de directive sur les brevets logiciel, affirmant que ces amendements enlèveraient effectivement to ute valeur à la plupart des brevets détenus par leur entreprise, portant ainsi préjudice à la compétitivité de l’industrie européenne et violant l’Accord sur les ADPIC. La FFII souligne que la directive menace bien les intérêts des départements des brevets de ces sociétés mais pas ceux des entreprises elles-mêmes : la lettre est marquée d’affirmations dogmatiques fallacieuses qui en dit long sur l’idéologie des départements des brevets et peu sur les intérêts des entreprises, dont de nombreux employés, particulièrement des développeurs de logiciels, soutiennent les positions de la FFII.
Monsieur le ministre du Conseil Compétitivité, Rocco Buttiglione, Messieurs les commissaires, Frederik Bolkestein et Erkki Liikanen, de la Commission européenne,
le 7 novembre 2003,Cher Ministre, chers Commissaires,
Objet : Proposition de directive sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (Computer-Implemented Inventions : CII)
En tant que dirigeants des cinq principales entreprises européennes des télécommunicatioons et d’électronique grand public, nous vous écrivons pour exprimer notre profonde inquiétude à propos des amendements récemment adoptés par le Parlement européen concernant la proposition de directive de la Commission sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (Computer-Implemented Inventions : CII), communément appelée « directive sur les brevets logiciels ».
Il est assez remarquable que l’abréviation « CII » — pour Computer-Implemented Inventions : inventions mises en œuvre par ordinateur — n’est pas employée dans le titre de la directive originale. L’avocat en brevets d’une entreprise qui écrit ceci — Tim Frain de Nokia ? — semble empressé d’utiliser chaque occasion appropriée ou non de lancer « CII » comme abréviation déstinée à remplacer le terme familier de « brevets logiciels ». Il est clair qu’il s’agit d’une formulation provenant d’un avocat en brevets et non de PDG d’entreprises de télécommunications. On peut trouver plus de détails sur la campagne autour du terme « invention mise en œuvre par ordinateur », qui est partie de l’OEB en mai 2000, dans l’article What is a Computer-Implemented Invention ? — Qu’est-ce qu’une invention mise en œuvre par ordinateur ? —.
Ensemble, nos entreprises investissent 15 milliards d’euros par an dans la R&D. Dans certains domaines, pas moins de 90% de ces investissements concernent des CII, telles que définies dans la proposition de directive.
Les investissements en R&D des entreprises signataires se concentrent dans le développement et le déploiement d’appareils et de solutions de télécommunication. Environ 5 à 10% de cet argent [1] sont dépensés dans l’obtention de brevets. Le développement de nouvelles idéées informatiques, telles qu’elles sont exprimées dans les brevets détenus par ces sociétés, comptent pour bien moins que cela, probablement moins d’1% de leurs dépenses. Les brevets ne sont plutôt qu’un des moyens possibles — formels ou informels — dont disposent ces entreprises pour protéger leurs investissements.
On peut trouver de plus amples détails sur le portefeuille de brevets et les brevets logiciels typiques détenus par ces entreprises sur :
– Alcatel et les brevets logiciels ;
– Nokia et les brevets logiciels ;
– Ericsson et les brevets logiciels ;
– Siemens et les brevets logiciels ;
– Philips et les brevets logiciels.
Disposer d’un système de brevets stable et fiable est vital pour protéger les investissements en R&D et pour encourager les innovations futures en Europe.
C’est peut-être le cas pour certaines industries. Mais pour autant que l’on considère l’objet de cette directive, cela contredit toutes les connaissances et expériences publiées jusqu’ici dans des études économiques.
L’objecti original de cette directiev était 1) d’harmoniser le droit en Europe et 2) de mettre un terme à la dérive vers l’approche des États-Unis brevetant de pures méthodes d’affaires et des logiciels non techniques, tout en 3) préservant l’interopérabilité. Nous soutenons tous ces objectifs.
La Commission européenne a bel et bien déclaré qu’il s’agissait des objectifs de sa proposition de directive mais en y regardant de plus près, la proposition n’en remplissait aucun. Au lieu de ça, elle accomplissait d’autres objectifs non avoués, tels que la brevetabimité illimitée des « méthodes d’affaires mise en œuvre par ordinateur » et la priorité absolue de tels brevets sur toute considération d’interopérabilité. Les départements des brevets des entreprises signataires de cette lettre sont les principaux partisans de ces objectifs réels. On pourra reconnaître l’arbre à ses fruits...
La directive était également destinée à maintenir et codifier le statu quo européen basé sur la meilleure pratique actuelle, qui a permi aux modèles d’affaires des logiciels libres de prospérer côte à côte avec les brevets, tout en protégeant également les intérêts des développeurs de logiciels indépendants et des petites et moyennes entreprises en général. Nous soutenont également ces objectifs fermement.
Par « statu quo européen basé sur la meilleure pratique actuelle », les dirigeants se réfèrent à une pratique de l’Office européen des brevets qui n’est pas significativement différent de celle de l’USPTO — l’Office états-unien des brevets et des marques déposées. Si quelque chose protége les petites entreprises en Europe, c’est plutôt l’incertitude juridique engendrée par le fait que cette « meilleure pratique » est en désaccord avec le droit positif.
Comme le rapporte le Commissariat général du plan en France en 2002 : « Seule la “paix armée” qui prévaut actuellement, précisément du fait de l’incertitude juridique qui entoure la notion de brevet “logiciel”, explique en effet que les brevets existants ne soient pas plus fréquemment utilisés. »
L’objectif avoué de la proposition de directive que défendent la Commission européenne et les PDG signataires est précisément de supprimer cette « incertitude juridique » qui a « protég[é] les intérêts des développeurs de logiciels indépendants et des petites et moyennes entreprises en général ».
Cependant, le vote du 24 septembre 2003 au Parlement a complètement retourné la proposition originale de la Commission, suppriment pour beaucoup la protection efficace par le brevet et, dans le cas des télécommunications et de l’électronique grand public, probablement la majeure partie de notre investissement en R&D. Ceci aurait des conséquences dévastatrices pour nos entreprises. Ce serait la porte ouverte au premier venu qui pourrait exploiter les résultats de nos coûteux programmes de R&D sans rien dépenser, voire même sans aucun apport en R&D de son côté. Ceci est contraire à ce qui a été stipulé au Conseil européen de Lisbonne, à savoir que « l’innovation et les idées doivent être dûment récompensées dans la nouvelle économie fondée sur la connaissance, en particulier au moyen d’une protection par des brevets ».
Cette affirmation insistante est en contradiction avec toute la connaissance publique sur l’économie du développement logiciel dans le secteur des télécoms comme dans tout autre domaine.
Quiconque voulant concurrencer l’une des entreprises signataires devrait engager d’énormes dépenses. Imiter et réimplémenter le logiciel lui-même est un procédé extrêmement coûteux, particulièrement lorsque, comme c’est généralement le cas, le logiciel n’est disponible que sous forme binaire et que le droit d’auteur doit être respecté.
Voir la déclaration de Robert Barr, du département des droits de propriété industrielle (IPR) de CISCO.
La perte d’une protection efficace par le brevet mettrait nos entreprises en position concurrentielle désavantageuse à court terme et réduirait à long terme les incitations à investir davantage dans la R&D en Europe. Au final, il y aura moins d’innovations concernant le logiciel en Europe et en fin de compte, il serait peu probable que l’Europe atteigne l’objectif de Lisbonne de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».
Cette affirmation sans fondement est en contradiction avec le sens commun des développeurs de logiciels, y compris de plus de 500 employés de ces cinq entreprises qui ont signé la pétition NoEPatents — non aux brevets logiciels. Suite à des entretiens avec des cadres des entreprises signataires — et à des témoignages tels que celui de Robert Barr de Cisco, voir ci-dessus —, nous savons que les brevets sont largement perçus comme étant un frein à l’innovation, même dans les grandes entreprises de télécommunications et d’électronique.
Les amendements du Parlement suggèrent que l’Europe est prête à tourner le dos à ses obligations internationnales selon l’Accord sur les ADPIC.
Encore une fois, il s’agit d’un mensonge déjà bien bien documenté : voir Conférence de presse Borrell-Rocard 6 juillet 2005.
Plus encore, ils changeraient le climat juridique en Europe de manière si soudaine, dramatique et inattendue, qu’ils représentent d’ores et déjà un message au reste du monde comme quoi l’un des piliers juridiques nécéssaires pour atteindre une Société de l’information européenne viable est instable, imprévisible et non fiable.
Alors que le système de brevets est peut-être un pilier pour la viabilité de certaines industries, aucune étude économique sérieuse n’a jamais montré qu’il était bénéfique — et encore moins indispensable — pour la société de l’information. La société de l’information a plutôt besoin de réaffirmer de manière stable, prévisible et fiable que chacun est libre de créer et de publier ses propres travaux sous le droit d’auteur et d’interopérer avec d’autres sytèmes. Les amendements du Parlement fournissent précisément cette réaffirmation.
Nous pensons par conséquent que le Conseil et la Commission ont besoin de prendre affirmativement les mesures appropriées pour redresser la situation actuelle en envoyant un contre-signal fort que le droit en Europe ne sera pas changé soudainement et dramatiquement et confirmant que l’Europe n’ignorera ni ne bafouera ses obligations internationales.
En d’autres termes, les patrons de 5 grosses entreprises appellent des responsables administratifs officiels à prendre des décisions législative à l’encontre de la Convention sur le brevet européen et du seul organe législatif démocratiquement élu de l’Union européenne.
La directive, telle qu’amendée par le Parlement, entraînera un sérieux, et peut être fatal, contretemps aux aspirations que nous partageons et qui ont été déclarées au Sommet de Lisbonne pour que l’Europe devienne l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde.
Le cadre juridique actuel pour les CII en Europe rend très bien service à toutes les parties prenantes. Nous ne voulons pas voir de rétrécissement soudain ou dramatique de l’étendue de ce qui est brevetable. Si l’on ne peut trouver de solution codifiant le statu quo, il vaudrait mieux ne pas avoir de directive du tout plutôt qu’une directive qui causerait un préjudice incommensurable à l’industrie européenne.
Cordialement,
Serge Tchuruk (Alcatel), Carl-Henric Svanberg (Ericsson), Jorma Ollila (Nokia), Gerard J. Kleisterlee (Philips), Heinrich v. Pierer (Siemens)
Ces remarques en conclusion montrent que le soutien des signataires aux objectifs allégués d’« harmonisation » et de « clarification » revêtissent en fait une importance mineure.
Les PDG des cinq entreprises ont permis eux-même à leur département des brevets de les tromper. Ces départements des brevets ont produit chaque année des milliers de brevets étendus et triviaux sur des méthodes d’organisation ou de calcul et ils veulent une directive qui rendent applicables ces brevets. S’ils n’obtiennent pas une telle directive, ils préfèrent avoir une situation obscure — où leurs brevets peuvent au moins continuer à être amassés pour la comptabilité de leur entreprise et l’évasion fiscale.
Certains des PDG signataires aimeraient se poser en leaders avec un esprit scientifique et le sens des responsabilités sociales. Pour citer cette lettre. Cette lettre, pour reprendre ses propres termes, pourrait « entraîner un sérieux, et peut être fatal, contretemps [à ces] aspirations ».