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« Compromis » du Conseil de l’UE pour une brevetabilité illimitée

jeudi 29 janvier 2004

Le Conseil des ministres de l’Union européenne, actuellement présidé par l’Irlande, fait circuler un document de travail avec des contre-propositions aux amendements du Parlement européen. Contrastant avec la version du Parlement européen, la version du Conseil autorise une brevetabilité illimitée et le respect légal des brevets. D’après la version du Conseil, le q(%:One Click shopping) d’Amazon est sans l’ombre d’un doute une invention brevetable, la publication de programmes sur un serveur constitue déjà une infraction et l’utilisation de formats de fichier brevetés dans un but d’interopérabilité n’est pas autorisée. Puisque la procédure de décision du Conseil est secrète, on ne sait pas qui appuie cette proposition au nom de quel gouvernement mais il est bien connu que le groupe de travail responsable est composé de fonctionnaires des bureaux des brevets nationaux et de gens proches de ce groupe qui ont également un siège côte à côte au conseil administratif de l’Office européen des brevets.

 Le « document de compromis de la présidence du Conseil »

Le « Groupe de travail sur la Propriété intellectuelle (les brevets) » du Conseil de l’UE a planifié de se réunir le 2 mars pour discuter des amendements du Parlement européen à la directive sur les brevets logiciels.

Le document de travail du Conseil supprime tout ce qui dans les amendements du Parlement limite la brevetabilité, y compris :

  1. Toutes les définitions de « technique », « invention » and « industriel » sont supprimées alors que la brevetabilité n’est toujours limitée par rien d’autre que ces termes.
  2. La liberté de publication est supprimée de l’article 5 ; à la place, les biens informationnels deviennent directement revendicables, les fournisseurs d’accès à internet peuvent ainsi être poursuivis pour avoir permis la publication sur leur serveur de programmes développés de manière indépendante. (voir Revendications de programmes : Interdiction de Publication des descriptions de brevets utiles)
  3. L’article 6 bis (liberté d’interopération) est supprimé. Avec ceci, Microsoft obtient le feu vert pour sa nouvelle politique de license sur les formats de fichier et les grosses entreprises informatiques et de télécommunicatons peuvent faire payer pour l’utilisation de la prochaine génération de standards Internet.
  4. Quelques amendements cosmétiques de députés pro-OEB, tels qu’Arlene McCarthy et Joachim Wuermeling, sont repris dans le document de travail. Parmis ces amendements, certains avaient été rejetés par le Parlement européen lors du vote en plénière.

voir Conseil de l’UE 2004 : Proposition sur les brevets logiciels et EU Software Patent Directive Articles 1-6 : Parliament’s vs Council’s Version.

 Position de compromis ?

Jonas Maebe, porte-parole de la FFII en Belgique, commente le « compromis » de la présidence irlandaise :

C’est comme si dans le débat sur l’acceptation ou le refus que de nouveaux états membres rejoignent l’UE, le compromis etait de ne pas accepter et de leur imposer en outre des sanctions économiques.

C’est comme si dans le débat sur l’augmentation ou non des limitations de vitesse sur les routes, le compromis était de les augemnter et de supprimer en outre l’obligation d’attacher sa ceinture de sécurité.

Ce qu’est un compromis et ce qui ne l’est pas devrait s’éclaircir si nous rangeons les différentes positions sur une échelle de valeurs :

rang position partisans
0 pas de brevets du tout nombre d’économistes mais aucun groupe d’intérêt concernés par le débat qui nous occupe
1 aucun brevet sur quoique ce soit qui touche d’une manière ou d’une autre au logiciel Certains acteurs imaginaires comme la Free Software Alliance d’Arlene McCarthy et les « quelques gros vendeurs de logiciels » dépeints par l’avocat des brevets Dr. Kay Brandt dans un magazine pour les employés de Siemens.
2 aucun brevet sur les logiciels purs, garantie de la liberté de publication et de l’interopérabilité Parlement européen le 24-09-2004, FFII
3 brevetabilité illimitée, applicabilité limitée Commission le 20-02-2002, Commission parlementaire JURI le 17-06-2003
4 brevetabilité illimitée, applicabilité illimitée Groupe de travail du Conseil de l’UE 2004 : Proposition sur les brevets logiciels

 Intérêts derrière la position du Conseil

Il faut noter que le Conseil a été poussé dans cette position extrêmiste par la Commission, comme on peut le constater dans un document divulgué de la Commission datant de novembre 2003.

Ce document est rempli de fausses déclarations désobligeantes sur le travail du Parlement européenn Parliament et il montre entre les lignes que le fonctionnaire de la Commission pour la PI (propriété intellectuelle) aurait aimé adopter également les revendications de programmes.

Dans le même temps, les avocats en brevets des grosses entreprises des TIC impliquent leurs PDG dans une campagne par lettre écrite pour discréditer le vote du Parlement européen aux yeux des chefs d’état et même du public dans son ensemble.

Les lettres des PDG et les affirmations des avocats en brevets des sociétés accompagnant ces lettres, tentent de répandre la peur que les amendements des parlementaires européens empêcheraient de breveter les procédés dans les domaines techniques traditionnels, tels que les robots industriels, etc. dès lors qu’un ordinateur est employé pour les contrôler et qu’une telle approche restrictive découragerait sérieusement l’innovation. Ces deux craintes sont sans fondement. La position du Parlement est parfaitement conforme à la fameuse décision Freinage non bloquant (Anti Blocking System, ABS) de la Cour fédérale allemande. Elle autorise des brevets sur tout procédé apportant une nouvelle connaissance empirique sur les forces de la nature (ex. les relations entre la temperature et les frottements dans les freins d’automobile), indépendamment du fait qu’un tel procédé soit contrôlé par une ordinateur ou non. Le travail d’un ingénieur des procédés est brevetable, tandis que celui d’un programmeur tombe sous le droit d’auteur. Le Parlement a voté pour la position très consensuelle que les PDG affirment vouloir.

Le problème est que les avocats en brevets des sociétés, qui sont derrière ces PDG, veulent breveter bien plus que le consensus général ne le permet. Les lecteurs attentifs auront aisément remarqué qu’ils ne réclament pas de brevets sur les robots contrôlés par ordinateur ni sur les procédés industriels mais la légalisation de 30000 brevets dans le style des brevets américains sur les algorithmes et les méthodes pour l’exercice d’activités économiques, avec des revendications en termes d’équipement conventionnel générique de traitement de données, ce que l’Office européen des brevets a accordé ces dernières années, en contradiction avec la lettre et l’esprit de la loi écrite.

Les partisans pro-brevets sont surtout les chefs des services de brevets des grosses sociétés. Grâce à la pratique inflationniste des offices de brevets, ils ont pris de l’importance ces dernières années et se battent pour accroître cette importance. Les bras pro-brevets de la Commission européenne et des gouvernements nationaux partagent les intérêts de ces partisants et ont réussi de manière égale à dominer la politique de brevets de leurs institutions respectives. Depuis que le projet de directive de l’UE sur les brevets logiciels a débuté en 1997, ce mouvement très organisé et très retranché a appuyé dans le sens d’une brevetabilité illimité en semant une propagande au nom des hautes autorités (gouvernements, associations, PDG), espérant apparemment que cela obligerait les légisateurs à obéir sans se poser de questions.

Pendant ce temps, un groupe de parlementaires, des entreprises informatiques et des associations ont publié un [Appel à l’action6>http://swpat.ffii.org/papiers/europ...] dans lequel ils critiquent les tentatives du mouvement pro-brevets de « tromper et d’intimider le Parlement Européen » et appellent les députés nationaux à formuler leurs politiques nationle de brevets et à superviser les activités des experts en brevets de leur gouvernement au Conseil, afin de s’assurer de leur loyauté à servir leurs politiques nationales.

En fait, c’est une pratique commune des experts en brevets au Conseil que d’ignorer ou de donner une interprétation erronée même avec des instructions écrites de leurs ministres. De plus, le groupe de travail « Brevets » du Conseil offre un voile d’anonymat sous lequel les représentants des politiques nationales de brevets peuvent prendre le point de vue qu’ils veulent sans en être tenus pour responsables. Par exemple, en Allemagne, le gouvernement allemand déclare qu’ils sont une force de modération au Conseil et qu’on les presse sur les brevets logiciels. D’après d’autres sources, nous savons que les représentants allemand ont fait pression pour des revendications de programme, i.e. pour la forme la plus radicale de la brevetabilité des logiciels. Mais une infime partie de tout ceci peut être prouvée car même les membres du parlement n’ont pas accès aux négociations du Conseil. Dans la mesure où les protocoles écrits des sessions du Conseil sont accessibles sans détail les positions individuelles des gouvernements deviennent anonymes. De plus, les documents de travail sont gardés confidentiels. Ainsi, les parlements nationaux ne peuvent plus connaître, et encore moins influencer, les processus législatifs qui affectent le plus profondément les intérêts des citoyens de leur nation.