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Intérêts de la FFII concernant la directive de l’UE sur les brevets logiciels

lundi 20 septembre 2004, par Rene Paul Mages (ramix), Gérald Sedrati-Dinet (gibus)

Que sont la liberté fondamentale et l’exclusivité des intérêts des créateurs et utilisateurs de logiciels Comment se traduisent-ils dans le langage de la Directive sur les brevets logiciels ? Quels autres intérêts sont en jeu ? Où peut-on trouver un terrain pour des négociations significatives ?

 Seules les exclusions de la brevetabilité peuvent aider à « harmoniser le statu quo »

Nous avons d’ores et déjà une bonne loi, mais certains tribunaux des brevets ne la respectent pas. Ils subissent pourtant une pression forte et grandissante de la part du public pour revenir à des pratiques sensées, en conformité avec le droit. La pression grossira si nous ne passons pas de directive. Elle peut grossir plus rapidement si nous passons une bonne directive. La seule manière pour l’Establishment européen des brevets (i.e. les fonctionnaires nationaux des brevets qui siègent au Groupe de travail sur la politique des brevets au Conseil de l’UE ou au Conseil d’administration de l’Office européen des brevets) de consolider ses mauvaise pratiques est de passer une mauvaise directive.

Nous pouvons accepter à peu près n’importe quelle directive, tant qu’elle réside seulement dans des exclusions claires et simples de la brevetabilité.

L’article 52(2) CBE se compose de telles exclusions. Il exprime dans des termes clairs et simples ce qui n’est pas une invention au sens du droit des brevets.

Nous ne pouvons pas accepter de langage inclusif, tel que

X devrait être brevetable

dans lequel X n’est pas à son tour délimité par des exclusions claires et simples. Le langage dans le style de celui du conseil, du type

X ne devrait pas être brevetable, que si [condition qui est toujours vérifiée]

est encore moins acceptable.

Toute directive contenant des propos de la sorte ne peut se réclamer d’être conçue pour « harmoniser le statu quo » ou pour « empêcher une dérive vers la brevetabilité des méthodes d’affaires ».

Les choses les plus importantes viennent en premier lieu. Nous allons essayer ci-dessous de définir les grandes lignes des exclusions de la brevetabilité et de l’applicabilité des brevets par ordre de priorité, puisqu’elles s’appuient l’une sur l’autre. Cela aurait peu de sens de marquer des points sur la seconde si la première n’est pas garantie.

 Liberté de publication

Notre premier intérêt est de garder le logiciel libre de tout brevet, régulé uniquement par le droit d’auteur. I.e. même s’il existe des brevets sur les fameux « système anti-blocage (ABS) », « machine à laver », « aspirateur intelligent », etc., ils ne doivent s’appliquer qu’aux fabricants et usagers de ces équipements, pas aux gens qui créent ou fournissent des logiciels (= des logiques de contrôle, comparables à des notices d’utilisation) pour ces équipements.

Notre première demande, qui est primordiale, est « pas de revendications de programmes, pas d’infraction directe ou indirecte en distribuant des logiciels ». Le Parlement européen a satisfait cette demande avec son article 5 bis. Malheureusement le Conseil, en introduisant les revendications de programmes dans son article 5(2), a fait sauter le seul pont vers des négociations constructives que la Commission européenne avait jamais construit. S’ils insistent dans cette destruction, l’affaire est jouée.

 Liberté d’utiliser des ordinateurs au bureau et dans des environnements connectés

Nous ne pouvons pas accepter de restrictions quant à l’utilisation d’équipements qui ne sont que des ordinateurs à usage générique. Les revendications de programmes, sous quelque forme qu’elles se présentent (procédé, équipement, système et méthode, etc.) sont inacceptables lorsque la contribution à l’état de l’art réside dans du pur traitement de données (i.e. des instructions pour des opérations sur un équipement de traitement de données à usage générique).

Le parlement a résolu ce problème par une disposition d’exclusion claire et simple dans l’esprit de l’article 52 CBE :

Le traitement de données n’appartient pas à un domaine technique

dans un article similaire, il a spécifié certaines choses qui ne constituaient pas de « contributions techniques » : par ex. « l’amélioration de l’efficacité du calcul ».

 Clarifier les termes inclusifs que les ADPIC imposent

Étant donné ceci, et selon l’article 27 des ADPIC, « un brevet pourra être obtenu pour toute invention (...) dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit (...) susceptible d’application industrielle », les termes « technologie », « technique », « domaine technique », « invention » et « industrielle » doivent être définis au niveau législatif. De par la nature inclusive de la disposition des ADPIC, il n’est plus approprié maintenant de laisser la jurisprudence définir ces termes. Le Parlement européen a apporté les définitions nécessaires lors de sa première lecture.

Le Parlement a également clarifié le terme inclusif d’« invention mise en œuvre par ordinateur » ; qui était imposé par l’Establishment européen des brevets sans aucun besoin légitime. La définition du Parlement européen doit être retenue mais le terme devrait être évité autant que possible. Le titre de la directive devrait être amendé pour quelque chose de plus direct, comme « sur les limites de la brevetabilité concernant le traitement de données et ses domaines d’application ».

 Ne pas codifier les formalismes pour l’examen

Un avocat peut pondre une revendication sur « un ordinateur, caractérisé par le fait qu’il classe les fenêtres sur un écran selon le schéma X ». Dans ce cas, la véritable « invention » (= « contribution ») est le « schéma X » et de tels schémas ne sont pas des inventions selon l’article 52 CBE.

Selon la nouvelle approche formelle (Décision sur le contrôle des caisses de retraites en 2000) introduite par l’Office européen des brevets (OEB) en 2000, l’« invention » réside toujours dans les « revendications dans leur ensemble ». Dans l’exemple précédent, elle reside dans l’« ordinateur », qui bien entendu est de nature technique et par conséquent brevetable. Tandis que le terme « contribution technique » pourrait sembler se référer à ce qu’on a auparavant appelé l’« invention ». Cependant, même le terme « contribution technique » en est venu à être employé de manière contre-intuitive que peu de gens hors de l’OEB arrivent à comprendre. Dans l’exemple précédent, il pourrait y avoir une « contribution technique dans l’activité inventive » parce que le « problème technique » consistant à « rendre plus efficace l’utilisation de l’espace sur l’écran » est résolu durant l’« activité inventive » entre « l’état de l’art le plus proche » et l’« invention ».

Ce raisonnement obscur de l’OEB n’est pas utilisé dans le droit général des brevets mais seulement dans le cas des « inventions mises en œuvre par ordinateur ». Il a émergé à la fin des années 90 comme une méthode pour contourner le droit existant afin d’autoriser les brevets logiciels. En écrivant un tel raisonnement dans une directive, l’UE autoriserait des pratiques arbitraires que seul l’OEB lui-même peut contrôler. Plus encore, en mélangeant la question de la « contribution technique » avec celle de l’« activité inventive », la nouvelle doctrine de l’OEB rendrait pratiquement impossible pour la plupart des offices de brevets nationaux, qui ne conduisent pas de recherche d’antériorité, de rejeter des brevets logiciels ou des brevets sur des méthodes d’affaire. Enfin, la nouvelle doctrine introduit un « droit des brevets sui generis », qui ne correspond pas aux principes généraux du droit des brevets tel qu’utilisé dans d’autres domaines, et par conséquent, comme l’ont averti le gouvernement des États-Unis et certains universitaires en droit européen, pourrait être vu comme une brèche dans l’Accord sur les ADPIC.

Les tentatives du Conseil pour appeler « invention » tout objet revendiqué, pour assimiler « invention » avec « les revendications dans leur ensemble » ou de faire une distinction entre « invention » et « contribution technique », doivent être rejetées. Comme le soulignent les Directives relatives à l’examen de 1978 de l’OEB, l’examinateur « ne devrait pas tenir compte de la forme ou du type de revendication et se concentrer sur le fond afin d’identifier la nouvelle contribution que la prétendue invention déclare apporter à l’état de l’art. Si cette contribution ne constitue pas une invention, il n’existe pas de matière brevetable. » Il suffirait de reconfirmer ce principe. L’exacte méthodologie avec laquelle l’examinateur identifie la contribution/l’invention n’a pas besoin d’être formalisée. Si elle doit l’être, alors ce ne peut être fait que selon la manière proposée par le Parlement en première lecture, i.e. « identifier la contribution technique en retranchant tout les aspects non-techniques et non-nouveaux de l’objet revendiqué ».

 Établir la liberté d’interopération comme une concrétisation de l’article 30 des ADPIC

L’article 30 des ADPIC nécessite une clarification vis à vis de l’interopérabilité au niveau législatif, pas au niveau de la jurisprudence.

La Commission et le Conseil prétendent, par ex. dans l’article 6, qu’ils veulent garantir la liberté d’interopération dans l’esprit de la directive de 1991 sur les droits d’auteurs.

Mais une clarification est nécessaire et le Parlement a donné la bonne réponse : l’article 6 bis. Les versions de CULT/ITRE/JURI pour cette proposition, soutenue par la délégation luxembourgeoise au Conseil, remplissent cet objectif tout autant que la version du vote en plénière. Dans les deux cas, certains détails de formulation peuvent être améliorés.


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