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Proposition de la Commission et Business Software Alliance (Mingorance)

vendredi 25 février 2005, par Rene Paul Mages (ramix)

Pourquoi tout ce bruit au sujet des brevets logiciels et de la proposition de la Commission européenne du 20/02/2002 pour légaliser les brevets sur les programmes informatiques ? Que vient faire BSA là-dedans ?

NB : l’article original a été écrit en 2002.

Article original en anglais

http://swpat.ffii.org/papers/eubsa-...

Imaginons que vous soyez à la tête d’une petite société de création de logiciels. Vous avez écrit une puissante application. Ce logiciel est une combinaison créatrice de 1000 règles abstraites (algorithmes) et de beaucoup de données. Chaque règle prend quelques minutes ou quelques heures à [ré]inventer, tandis que le développement et la correction de la totalité du travail vous ont coûté 20 années-hommes. 900 de ces règles étaient déjà connues il y a 20 ans, et 50 d’entre elles sont maintenant couvertes par des brevets. Vous possédez 3 de ces brevets. Afin de les faire valider, vous avez dû vous précipiter à l’office des brevets, révéler votre stratégie commerciale et payer des honoraires d’avocat. IBM et Microsoft sont déjà prêts à transformer vos idées brevetées en bénéfice. Vous voulez qu’ils arrêtent ? Selon leurs équipes d’avocats, vous violez 20 à 30 de leurs 50 000 brevets. Vous concluez donc un accord à l’amiable : 3% des revenus de vos ventes annuelles iront à IBM, 2% à Microsoft, 2%.... Finalement, un jour vous arrivez à l’équilibre financier. Vous devenez maintenant une société intéressante. Une agence de brevets vous contacte. Vous violez 2 ou 3 de leurs brevets, d’après ce qu’ils disent. Leurs exigences sont dures. Ils veulent 100 000 euros. Le litige pourrait prendre 10 ans et vous coûter 1 million d’euros. Vous payez. Un mois plus tard, un autre conseil en brevets frappe à votre porte.... D’ici peu de temps vous allez mettre la clef sous la porte. Vous cherchez alors à vous mettre sous la protection d’une grande société. Microsoft s’offre pour vous acheter pour un denier symbolique. Vous acceptez. Sous un système de copyright seul, vous seriez maintenant indépendant et riche. Mais grâce aux brevets, Microsoft et d’autres peuvent vous voler votre propriété intellectuelle.

Est-ce que cet exemple vous aide à comprendre pourquoi beaucoup de créateurs de logiciel considèrent que la BSA et leurs amis avocats des brevets à la Commission européenne sont parmi les plus grands pirates logiciels du monde ?

Si vous êtes nouveau dans ce débat européen, nous vous conseillons de lire soigneusement notre cours accéléré sur le jargon européen relatif aux brevets et les informations générales concernant la future proposition de directive de la Communauté Européenne, le tout disponible dans 4 langues. Ceci a été rédigé avant que nous ayons reçu une quelconque ébauche de directive et est destiné à sensibiliser le plus de monde possible. Sa lecture vous prendra, si tout va bien, 20 petites minutes.

Maintenant, quelle est cette proposition de directive de l’Union européenne et comment la BSA s’y est trouvée impliquée ? La version finale du document a été adoptée par la Commission Européenne le matin du 20/02/2002 et fut publiée à midi le jour même sur le site Web de l’Unité de la Propriété industrielle, accompagnée d’un communiqué de presse et d’une FAQ. Mi-février un projet de proposition de directive quasiment identique (PDF, MSWord) a commencé à circuler parmi les fonctionnaires des gouvernements nationaux. Bien qu’elle soit datée de 2001, les personnes bien informées ont bien vu que « l’encre des presses de Bruxelles n’était pas encore sèche ». Assez curieusement, un champ caché du document MSWord mentionnait un auteur avec le nom de Francisco Mingorance. Ca indique qu’il a au minimum révisé le texte sur sa machine, et probablement joué un rôle important dans sa rédaction.

FRANCISCO MINGORANCE
Francisco Mingorance est l’actuel directeur de la politique grand public de la BSA pour l’Europe. C’est un abonné de longue date à la liste de discussion Eurolinux sur les brevets. Il n’y a pas si longtemps, il travaillait en tant que directeur financier pour un organisme d’aide contre le SIDA à Genève. À ce poste, il a tenté de défendre avec acharnement le système de brevets contre ce qu’il a appelé la « vilification » par les défenseurs du gouvernement sud-africain qui voulaient baisser le prix des médicaments. L’anglais du projet de proposition de Mingorance porte des traces de sa langue maternelle : le français.

Quand Eurolinux a révélé le brouillon de BSA le matin de la publication de la directive, le service de presse de la Commission européenne a nié, disant aux journalistes que ce n’était « pas un texte de la Commission mais un texte de l’industrie ». On ne peut plus exact ! Peu de temps après la publication de la version finale par la Commission européenne, Mingorance a été cité par le Wall Street Journal :

Francisco Mingorance, directeur pour la politique grand public de BSA, une association représentant des géants américains comme IBM et Microsoft, a indiqué que les auteurs de la proposition « ont fait deux pas en arrière ».

En effet la version finale constitue quelques pas « en arrière » sur quelques aspects mineurs, par rapport à celle de Mingorance. En particulier quelques dispositions ont été rajoutées concernant l’interopérabilité. La plupart des sociétés membres de la BSA sont opposées aux brevets logiciels. Un article du Wall Street Journal désigne les membres actifs de BSA qui ont les moyens de payer du personnel pour développer une politique de brevetabilité : IBM et Microsoft. Microsoft comme fournisseur ayant un quasi-monopole dans les logiciels propriétaires, a de loin les plus gros intérêts dans la BSA. Alors que dans son ensemble, la BSA n’a aucun intérêt dans le système des brevets, Microsoft s’est lancé dans une croisade active contre le logiciel libre, en utilisant tout ce qui peut lui nuire, en particulier les brevets logiciels. Il convient de noter que le Livre Vert de la Commission européenne présente Microsoft comme une histoire à succès et base son affirmation sur le fait que les « brevets logiciels ont eu un impact très positif sur l’industrie du logiciel aux États Unis », sur le seul argument que « Microsoft détient déjà 400 brevets logiciels ».

Exceptées cette argumentation pseudo-économique, les références à la BSA et aux travaux sur l’importance du modèle économique de Microsoft, la majeure partie de ce texte n’est apparemment ni une création de la BSA ni de la Commission européenne, mais une transcription de textes dont l’origine se trouve à l’Office Européen des Brevets. Ainsi, lorsqu’on se demande qui a écrit cette proposition, la réponse la plus plausible semble être : une première ébauche a été rédigée en 2000 par Bernhard Müller sur la base d’un texte de l’Office Européen des Brevets (qui a encadré sa jurisprudence sur les données des départements brevets des grands éditeurs du logiciel basés aux États-Unis). La consultation fin 2000 n’a abouti à aucun changement, mais elle a fait peur aux avocats des brevets de la Commission Européenne, à un degré tel qu’ils auraient préféré laisser tomber tout le projet de directive. La réalité était trop hérétique — ni la littérature récente sur les brevets ni l’OEB n’avaient de conseils à proposer.

En attendant le lobby britannique du brevet et quelques autres ont continué à mettre la pression pour une directive. La BSA était le lieu idéal pour demander de l’aide. En tant qu’association d’éditeurs de logiciels, ils disposent des informations et de l’expertise nécessaires pour proposer une directive dogmatique, avec la nécessaire démarche économique qui y est liée — ou du moins à ce qu’il semble.

À part eux, qui d’autre ? Apparemment fin 2001, Mingorance a commencé à retravailler l’ébauche de directive précédente. Début 2001, quelques compromis mineurs avec des collaborateurs de Liikanen [1] ont été incorporés. Ainsi, il ne restait plus beaucoup de travail à faire pour le rédacteur en chef Anthony Howard ou pour son patron John Mogg à l’Unité de la Propriété Industrielle de la Direction Générale pour le Marché Intérieur, dirigée par le commissaire Frits Bolkestein.

Une collaboration étroite avec des groupes tels que la BSA a pu également avoir été utile pour persuader Bolkestein.


[1NdT : Erkki Liikanen, commissaire aux entreprises et à la société de l’information de la Commission Romano Prodi.