La FFII France

Accueil > Brevets logiciels > Analyses générales > Brevets sur des invention mises en œuvre par ordinateur ou purs brevets (...)

Brevets sur des invention mises en œuvre par ordinateur ou purs brevets logiciels : que se cache-t-il derrière un intitulé

vendredi 4 mars 2005, par Thibault Gironnay (cabugs)

Ce texte essaie d’expliquer pourquoi autoriser les brevets sur les inventions mises en œuvre par ordinateur — comme c’est défini dans la proposition de directive — n’est pas différent d’autoriser de purs brevets logiciel et, de la même façon, pourquoi les opposants à la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur parlent toujours d’une directive sur les brevets logiciels.

NB : Ce texte date de septembre 2003 mais reste tout à fait d’actualité, à ceci près que la commission parlementaire aux affaires juridiques — JURI — a été renouvelée et comprend désormais parfaitement — comme le Parlement européen tout entier ce qu’est un brevet logiciel et une invention mise en œuvre par ordinateur.

 Que comprend-on derrière l’appellation « invention mise en œuvre par ordinateur » ?

  • Le sens le plus simple d’« invention mise en œuvre par ordinateur » serait une solution qui est effectivement mise en œuvre par ordinateur — après tout, c’est ce que disent littéralement ces termes. Les ordinateurs mettent seulement en œuvre des solutions logiques/mathématiques. C’est pourquoi on les appelle ainsi — calculateurs en anglais : ils calculent, ils font des calculs mathématiques simples très rapidement et ordonnent/organisent ces calculs. Donc avec un ordinateur, on peut seulement mettre en œuvre de la logique, des mathématiques et des règles d’organisation. Au regard de l’article 52 de la CBE — Convention sur le brevet européen — ce ne sont pas des inventions. Donc le sens simple est contradictoire.
  • Ce qui est signifié par ces termes — mais qui est contraire à l’art 2, point a —, ce sont des gadgets qui mettent en œuvre des inventions, et qui fonctionnent grâce aux ordinateurs.
  • Je vais utiliser des téléphones mobiles et des machines à laver comme exemples dans cette page. Si vous voulez y voir figurer d’autres choses, n’hésitez pas à m’envoyer un courriel à l’adresse jonas.maebe elis.ugent.be.

 Comment fonctionnent les brevets pour des inventions qui ne sont pas mises en œuvre par ordinateur ?

  • Les téléphones mobiles et les machines à laver ont été inventés il y a longtemps, donc vous ne pouvez plus les inventer. Comme les brevets ne sont permis que pour les inventions, vous ne pouvez breveter ni un téléphone portable ni une machine à laver.
  • Vous pouvez tout de même inventer un nouveau téléphone portable avec une nouvelle et meilleure antenne ou une machine à laver avec un meilleur moteur. Ainsi donc le téléphone portable et la machine à laver ne sont pas nouveaux par eux mêmes, mais ils contiennent des inventions, et ces inventions sont brevetables.
  • Vous pouvez obtenir un brevet sur « un téléphone portable avec un nouveau type d’antenne » ou sur « une machine à laver avec un nouveau moteur construit comme ceci ». Puisque vous n’avez réellement qu’un nouveau type d’antenne et de moteur, vous ne pouvez obtenir un brevet que sur « un nouveau type d’antenne qui... » ou sur « un nouveau type de moteur qui... » — excepté quand l’avantage de votre invention est lié avec cette application spécifique.
  • Conclusion : quand vous inventez quelque chose, vous pouvez breveter cette invention. Vous pouvez dire dans votre revendication de brevet si votre invention est utilisée dans tel ou tel équipement, mais ceci ne rend absolument pas votre revendication spécifique ; ça n’influence pas le fait que votre invention soit brevetable ou non.

 Et concernant les inventions mises en œuvre par ordinateur ?

  • Exemple 1 : supposons que nous créons un programme pour téléphones mobiles qui améliore très nettement la réception ou un programme à laver révolutionnaire pour machine à laver qui détache tout.
    • Les deux inventions ci-dessus ne mentent pas dans le fait qu’elles utilisent un programme informatique mais dans vos recherches sur comment envoyer ou recevoir les signaux ondulatoires — c’est-à-dire comment les moduler et les démoduler... — ou ce que doit faire exactement votre machine à laver pour obtenir ce détachage — c’est-à-dire quels mouvements doit-on mettre en branle, à quelle température doit être l’eau, etc.
    • Ces innovations peuvent peut-être être des inventions brevetables mais ceci sera décidé comme pour toutes les autres innovations grâce au droit des brevets et à la jurisprudence. Le fait qu’un — programme d’ — ordinateur soit impliqué n’est pas la question.
  • Exemple 2 : comparez l’exemple précédent avec un programme qui devine les noms de vos contacts dans votre carnet d’adresses quand vous les tapez sur votre téléphone mobile, ou avec un programme plus configurable pour votre machine à laver — de telle façon que vous puissiez définir exactement la quantité d’eau ou la température de l’eau à chaque étape.
    • Ces exemples contiennent des logiciels innovants, mais les programmes informatiques en tant que tels ne rentrent pas dans le champ de la brevetabilité d’après l’article 52 de la CBE.
    • La machine à laver et le téléphone mobile ne sont pas des inventions puisqu’ils ne sont pas nouveaux — et parce qu’ils ne contiennent pas non plus d’invention). Cela signifie qu’aucune invention n’est présente et qu’aucun brevet ne doit être accordé.
  • Le traitement du signal par antenne ou le processus de lavage du premier exemple pourraient être des inventions et tant que des ordinateurs participent à leur mise en œuvre, vous pouvez parler d’inventions mises en œuvre par ordinateur si cette expression est définie comme dans la première lecture du Parlement Européen de Septembre 2003. Dans les seconds exemples (— application de gestion de la machine à laver et interface utilisateur de l’annuaire téléphonique — il n’y a pas d’invention, juste une innovation dans le logiciel.
  • Conclusion : si vous insistez pour appeler ces exemples des inventions mises en œuvre par ordinateur, vous vous forcez à considérer le logiciel du second exemple comme l’invention — puisque c’est la seule nouvelle chose —, ainsi vous admettez les brevets logiciels purs. C’est le risque d’utiliser une terminologie contradictoire, sans même donner de définition explicite qui résolve la contradiction — en violant quelque peu la sémantique.

 Synthèse : comment les brevets sont supposés fonctionner

  • Les brevets concernent les inventions.
  • Les téléphones mobiles et les machines à laver sont déjà inventés, donc on ne peut les inventer à nouveau. Ils peuvent pourtant contenir des inventions et l’invention peut mériter un brevet.
  • Le brevet peut revendiquer un téléphone mobile avec une nouvelle antenne — l’invention = l’antenne, non le téléphone mobile — ou revendiquer une machine à laver avec un meilleur moteur — l’invention = le moteur, non la machine à laver.
  • Les objets qui sont revendiqués sont différents de l’invention. L’invention doit être dans l’objet revendiqué afin d’autoriser le déposant du brevet à revendiquer cet objet, mais l’invention n’est pas entièrement l’objet revendiqué.
  • L’invention est ce que vous ajoutez à l’art antérieur, donc l’invention est la contribution. Cette contribution doit être technique, inventive, nouvelle et susceptible d’application industrielle. Ce n’est pas suffisant que l’objet revendiqué soit technique.
  • La raison pour laquelle vous devez regarder l’invention et non l’objet revendiqué comme un tout, est que vous voulez donner des brevets pour promouvoir l’innovation. Vous pouvez seulement promouvoir l’innovation en regardant la contribution, puisque c’est la partie innovante.
  • Les programmes d’ordinateur en tant que tels ne peuvent être brevetés d’après l’article 52 de la CBE : ceci signifie qu’ajouter un programme informatique à une invention brevetable ne la rend pas non brevetable, mais ça ne signifie pas qu’ajouter un — nouveau — programme informatique à un appareil technique non brevetable rende le programme brevetable ! &mdash Pourtant, c’est de cette manière que l’ont interprété l’OEB — Office européen des brevets —, la Commission européenne et JURI — commision parlementaire aux affaires juridique et au marché intérieur.
  • Le langage de la Commission européenne et de la commision parlementaire JURI embrouille terriblement les choses et prétend que les inventions — mises en œuvre par ordinateur — devraient être le téléphone mobile ou la machine à laver — c’est-à-dire, parce quils contiennent un moteur connu ou une antenne ou même un ordinateur et disent qu’en plus ils doivent être une contribution technique — qui peuvent inclure des fonctionnalités non techniques (article 4.3) comme un nouveau programme pilotant le moteur. D’après eux, la contribution n’a pas besoin d’être technique, nouvelle ou susceptible d’application industrielle — donc ce peut être de simples logiciels, elle doit juste ne pas être triviale.
  • Si vous — comme la Commission européenne et la commision JURI — dites que l’invention est l’objet revendiqué, cela implique que l’invention et la contribution technique sont deux choses différentes. Vous pouvez alors tester distinctement si l’invention et/ou la contribution entrent dans le champ de la brevetabilité. Ceci mène à des doutes tels que « Est-ce que cette invention — un téléphone mobile — doit être brevetable ? ». Il n’y a pas de réponse parce qu’un téléphone mobile n’est pas une invention. L’invention est quelque chose qu’il doit contenir mais vous ne pouvez jamais dire si c’est brevetable en regardant le téléphone mobile dans sa totalité.

 Pouvez vous donner un exemple montrant comment la proposition de directive autorise les brevets logiciels

  • Simplement, la Convention sur le brevet européen stipule :
    • Article 52.2 : Les programmes d’ordinateur ne doivent pas être vus comme des inventions.
    • Article 52.3 La disposition « Les programmes d’ordinateur ne doivent pas être vus comme des inventions » doit exclure du champ de la brevetabilité des programmes informatiques seulement dans la mesure où un brevet est relatif à des programmes informatiques en tant que tels.
  • Ceci est équivalent à la loi suédoise — harmonisée avec la CBE en 1976 :
    « ce qui constitue juste un programme informatique ne peut être vu comme une invention. »
    “Såsom uppfinning anses aldrig vad som utgör enbart ett datorprogram.”
  • Ceci contredit l’article 2 de la directive, qui dit en résumé :
    une « invention mise en oeuvre par ordinateur » désigne toute invention dont l’exécution implique l’utilisation d’un ordinateur et présentant des caractéristiques qui sont réalisées par un programme d’ordinateur.
  • Conclusion : l’article 2 dans sa forme actuelle est un cheval de Troie, non une machine à laver.

 Comment corriger la directive ?

  • Ne pas soutenir des amendements qui mélangent des tests de brevetabilité ou qui perdent leurs conditions. Des exemples de mauvais amendements sont l’amendement 4 de JURI —au considérant 11, mais notez que le considérant de la Commission européenne n’est pas bon non plus —, l’amendement 5 de JURI — au considérant 12, reformulation de l’article 3 qui a été abandonné —, l’amendement 7 de JURI — considérant 13 quater —, l’amendement 14 de JURI — à l’article 2, point a &mdah;, l’amendement 6 d’ITRE — la commission parlementaire à l’industrie pour l’article 2, point b —, l’amendement 16 de JURI — à l’article 4 — et l’amendement 18 de JURI — au premier alinéa de l’article 5.
  • Soutenir des amendements qui reformulent clairement l’article 52 de la CBE et qui introduisent l’exigence de manipuler les forces de la nature dans la définition d’« invention mise en œuvre par ordinateur » — et non juste les exigences de mettre une invention mise en œuvre par ordinateur dans le champ de la brevetabilité. Introduire des définitions claires et strictes des termes « technique » et « application industrielle ». Maintenir le droit de publication et de conversion — article 6 bis qui a été voté par la commission JURI.
  • La raison pour laquelle les « forces de la nature » sont si importantes comme condition pour définir une invention, est qu’un programme informatique en tant que tel ne peut contrôler les forces de la nature, donc cette condition les exclut du champ de la brevetabilité. Toutes les inventions qui entrent traditionnellement dans le champ de la brevetabilité, le resteront à l’avenir mais on peut de cette façon stopper les dérives de l’OEB qui accordent des brevets sur des logiciels et des méthodes d’affaires.
  • La FFII a publié une liste d’amendements qui sont à proposer par différents groupes politiques et elle explique lesquels limitent le champ de la brevetabilité et clarifie la situation actuelle. Bien sûr, tous les amendements seront accompagnés par des analyses détaillées de la FFII que vous aimez tous tant, similaires à l’analyse des amendements proposés par la commission JURI !

 Remerciements

Ce document a été écrit par Jonas Maebe, mais a été créé avec de nombreuses participations de Xavier Drudis Ferran. Sans lui cette page n’existerait pas. Les mérites reviennent à Erik Josefsson pour le cheval de Troie. La traduction en français a été réalisée par Thibault Gironnay.


Voir en ligne : Version anglaise originale