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Protection de l’auteur de logiciels

Étude sur l’interaction entre la loi sur le droit d’auteur et le droit des brevets

mercredi 16 février 2005, par Gérald Sedrati-Dinet (gibus)

Introduction

La brevetabilité des logiciels fait peser une menace directe sur les auteurs de logiciels. Dans des articles précédents, tels que « Communication à la FFII du 14/04/2004 », « Pourquoi les brevets logiciels sont illégaux » et « Brevetabilité des logiciels : présomption fatale » j’affirmais que :

 les engagements internationaux nous obligent à protéger les programmes informatiques au titre d’« œuvres littéraires » ; étendre le système des brevets aux programmes informatiques violerait ces engagements internationaux dans la mesure où les programmes supposés être des « romans » deviendraient des « procédés industriels » selon le droit des brevets ;
 les droits les plus fondamentaux des auteurs de logiciels d’innover, de produire, de distribuer et de profiter de leurs œuvres sont directement menacés par les brevets logiciels, qui sont à la base de cette violation ;
 « l’expression d’un programme informatique » et « un traitement de données » sont synonymes et protégeables uniquement sous le régime du droit d’auteur pour de bonnes raisons ;
 les brevets sur les traitement de données (logiciels) équivalent à des brevets sur des abstractions ou sur des vérités universelles.

La communauté juridique fut sceptique. Parmi les objections soulevées :

 cette interprétation est erronée, il n’y a pas de contradiction entre permettre la protection par brevets pour une nouvelle fonction et simultanément protéger l’« expression » d’un programme informatique par le droit d’auteur ;
 l’accord sur les ADPIC ne régente que le niveau minimum de protection et on ne peut donc l’utiliser pour justifier la non brevetabilité logicielle ;
 les « idées sous-jacentes » ne sont jamais protégeables par le droit d’auteur et peuvent donc être brevetées ;
 les idées abstraites ne sont pas des abstractions si elles se rapportent à des valeurs du « monde réel » ;
 le droit d’auteur ne protège que la copie littérale, l’effet d’un programme informatique n’est pas du domaine de la loi sur le droit d’auteur puisque c’est une « méthode opératoire » pour une machine.

Dans l’article qui suit, j’ai tenté de traiter de ces problèmes en examinant la pratique juridique afin de montrer que les points que j’ai donnés ont une histoire juridique solide et établie et que les principes établis dans ces cas doivent être conservés pour protéger la liberté d’expression et les droits les plus fondamentaux des auteurs.


Programmes informatiques et « traitements de données » sont synonymes

Dans les articles antérieurs, je posais que le traitement de données, que les offices de brevets considèrent comme étant une invention, est en soi la même chose qu’un programme informatique. L’obligation de protéger un programme informatique comme œuvre littéraire ne cesse pas du seul fait qu’il est chargé et exécuté dans un ordinateur. Je renvoyais vers des définitions de dictionnaires pour démontrer ceci, mais on peut trouver aussi en abondance des lois ou des jugements pour le confirmer.

Voici la définition donnée à « programme informatique » dans la loi états-unienne de 1988 sur le droit d’auteur :

Un « programme informatique » est un ensemble de phrases ou d’instructions destinées à être utilisées, directement ou non, par un ordinateur, en vue de produire un certain résultat [1].

Un traitement de données peut être « un certain résultat ». Le programme informatique est la cause directe d’un tel effet — en fait le programme informatique est cet effet. La directive européenne sur le droit d’auteur de 1991 met en valeur le fait qu’un programme informatique est à la fois fonctionnel et œuvre littéraire :

considérant qu’un programme d’ordinateur est appelé à communiquer et à opérer avec d’autres éléments d’un système informatique et avec des utilisateurs ; que, à cet effet, un lien logique et, le cas échéant, physique d’interconnexion et d’interaction est nécessaire dans le but de permettre le plein fonctionnement de tous les éléments du logiciel et du matériel avec d’autres logiciels et matériels ainsi qu’avec les utilisateurs [2] ;

De plus cette directive éclaircit de quelles manières un programme informatique peut être reproduit sous diverses formes :

Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire et d’autoriser :

a) la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit. Lorsque le chargement, l’affichage, le passage, la transmission ou le stockage d’un programme d’ordinateur nécessitent une telle reproduction du programme, ces actes de reproduction seront soumis à l’autorisation du titulaire du droit [3] ;

La commision Banks du Royaume-Unis (Banks Committe) de 1968 précisa dans quelle mesure les programmes devraient être exclus de la brevetabilité, anticipant la Convention sur le brevet européen :

Un programme informatique — c’est-à-dire un ensemble d’instructions pour contrôler la séquence d’opérations d’un système de traitement de données — sous quelque forme que soit présentée l’invention : méthode pour programmer les ordinateurs, ordinateur programmé d’une certaine manière et où la nouveauté ou nouveauté alléguée réside seulement dans le programme, ne peut être brevetable [4].

Remarquez comment « programme informatique » et « système de traitement de données » sont donnés pour équivalents.

À propos d’une revendication de brevet britanique (examinée sous l’article 52) pour un logiciel sur un support, qui a été refusée dans le brevet de Genentech Inc, le juge Dillon observait :

Il serait absurde que la loi interdise la brevetabilité d’un logiciel et de néanmoins permettre de breveter une disquette contenant un logiciel ou un ordinateur courant programmé avec ce logiciel. On peut dire, à mon avis, que breveter un ordinateur programmé ou une disquette contenant un logiciel n’est rien d’autre que breveter le logiciel lui-même [5].

Dans l’affaire Merryl Lynch le juge Fox poursuivait :

Il me semble clair [...] qu’il ne peut être autorisé de breveter un élément exclu par la section I (2) au prétexte qu’un objet contient cet élément — c’est-à-dire dans le cas d’un logiciel : le brevetage d’un ordinateur courant contenant ce logiciel. Quelque chose de plus est nécessaire [6].

La cour dans l’affaire Merril Lynch ne fut pas capable de préciser ce qu’est ce « plus » nécessaire, mais ce n’est pas étonnant vu le raisonnement absurde de l’OEB qui apparut dans la décision VICOM (voir plus loin).

Ces sentiments furent également relayés aux États-Unis pendant la période où la brevetabilité des logiciels était examinée :

L’incertitude règne quant à savoir si la loi permet de déposer un brevet valide sur un programme. Les essais de breveter directement des logiciels ont été refusés au motif de sujet non inclus dans la loi. Les tentatives indirectes de dépôt de brevets, revendiquant un processus, une machine ou des composants programmés d’une certaine manière, plutôt qu’un logiciel lui-même, ont obscurci le problème et ne devraient pas être permises [7].

Au contraire, le champ d’extension du droit d’auteur aux programmes informatiques est bien documenté, la protection du droit d’auteur s’étendant aux œuvres « par tous moyens et toutes formes ».

Le rapport CONTU conseilla le Congrès états-unien en matière de brevetabilité logicielle en 1978. Le rapport examinait la nature de la loi sur le droit d’auteur et comment elle serait appliquée dans une version moderne pour les logiciels. C’était un élément dans la réforme de la loi états-unienne sur le droit d’auteur, une réforme qui prit environ 15 ans. Parmi les commentaires majoritaires, on soulignait que :

Le fait que les mots d’un programme soient utilisés in fine dans l’implémentation d’un processus ne doit en rien affecter leur légitimité à relever du droit d’auteur.

Le statut du droit d’auteur pour des règles écrites pour un jeu ou pour un système pilotant une machine ne peut être altéré par le fait que ces règles dirigent les actions de ceux qui jouent au jeu ou conduisent le processus. Le droit d’auteur ne peut être refusé à des œuvres simplement parce qu’elles ont un aspect utilitaire [8].

Le commissaire Nimmer notait :

Le commissaire Hersey a fait une autre et importante distinction : « le produit direct d’un enregistrement sonore, une fois mis dans un lecteur, est le son de la musique, l’œuvre de l’auteur sous forme audible ». Le propos est que l’opération d’enregistrement sonore produit une œuvre musicale qui est elle-même protégeable par le droit d’auteur. Ceci est suffisant pour que l’enregistrement soit lui aussi protégeable de manière séparée. Ce principe est exactement analogue à la distinction suggérée ci-dessus concernant les programmes informatiques [9].

Ce que le commissaire Nimmer a noté est incroyablement important. Il met en lumière que l’apport du programme informatique ne réside pas dans le matériel de la machine, mais plutôt dans le processus mental abstrait, dû à l’auteur, qui est exécuté par la machine. La musique sous sa forme audible est ce pourquoi le musicien écrit l’œuvre. Dissocier l’auteur de logiciel de l’exécution de l’œuvre sur une machine, c’est lui dénier la raison pour laquelle il a écrit son œuvre.

Le mythe de l’exclusion de la « méthode opératoire » est aussi pointé lorsqu’il observe que l’expression dépasse la méthode opératoire et atteint l’œuvre, « par tous moyens et sous toutes formes » dans le cas d’enregistrements sonores. En effet, si le droit d’auteur ne s’étend pas à l’exécution d’une œuvre sur une machine alors le son produit par un CD ne peut être couvert car les données du CD pourraient être assimilées à une méthode opératoire pour une puce électronique.

L’opinion majoritaire fut adoptée peu après pratiquement à l’identique par le Congrès des États-Unis et répercutée dans les lois sur le droit d’auteur. L’influence du CONTU peut être vue dans les traités modernes comme ADPIC ou le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Alors qu’une opinion minoritaire exprima sa préoccupation que le droit d’auteur soit appliqué à une œuvre utilitaire, cette vue minoritaire ne voulait pas du système des brevets mais plutôt sortir complètement du domaine de la propriété intellectuelle en ce qui concerne les logiciels. Certaines personnes ont souvent tendance à réviser l’histoire du droit et à oublier ce point.

Dans les jurisprudences suivantes la question de l’inclusion des programmes informatiques dans le régime du droit d’auteur a été examinée en profondeur. Les jugements successifs ont établi que l’expression de l’œuvre protégée persistait même par l’intermédiaire d’une méthode opératoire.

La revendication que l’exécution ou l’aspect utilitaire n’était pas couvert par le droit d’auteur a été rejetée dans l’affaire Apple Computer contre Franklin Computer Corp :

De la même manière que la suggestion par la cour de district de distinguer entre le code source et le code objet fut rejetée par notre avis pour l’affaire Williams trois jours après l’avis de la cour de district, ainsi en est-il de sa suggestion que l’encapsulement d’un programme informatique dans une ROM [mémoire permanente], à la différence d’un écrit traditionnel, l’exempte de l’application du droit d’auteur. Pour l’affaire Williams, nous avions rejeté l’argument qu’un « programme informatique n’est pas violé lorsque le programme est chargé dans une mémoire électronique et utilisé pour contrôler l’activité de machines » 685 F.2d à 876. Le défenseur argua qu’il ne peut y avoir de protection par le droit d’auteur pour une ROM car elles sont des objets utilitaires ou des composants de machines. Nous avons conclu que la désignation légale de « fixation », la manière par laquelle le problème se pose, est satisfaite par l’inclusion de l’expression dans une ROM [10].

Dans les cas suivants, il fut accepté que le droit d’auteur pour les programmes informatiques, comme pour toutes les autres œuvres littéraires, incluait aussi la non-copie littérale, sinon un plagiat ne serait jamais établi.

Quand le droit d’auteur fut conçu il y a quelques siècles, c’était un régime purement textuel. Mais il est progressivement devenu évident qu’un tel régime était inadéquat puisque quelqu’un pouvait traduire un texte dans une autre langue et éviter l’infraction. Le droit d’auteur fut alors étendu aux éléments non littéraux des œuvres littéraires et les programmes informatiques ne constituent pas une exception. Ce que le droit d’auteur protège réellement c’est la disposition et l’ordonnancement d’idées qui sont tissées dans une œuvre originale.

Le juge Learned Hand développa une approche comparative de filtrage d’abstractions pour déterminer si la protection d’une œuvre avait été violée. Il relia ce principe au théâtre, soulignant la dichotomie entre but de l’idée et expression :

Dans toute œuvre, en particulier dans toute pièce de théâtre, un grand nombre de schémas de généricité croissante vont correspondre également, au fur et à mesure que l’on laisse de côté des détails. Le dernier schéma pourrait être rien moins que le sujet le plus général concernant la pièce et pourrait consister en son titre. Mais il y a un point dans cette série d’abstractions où elles ne peuvent plus être protégées, sinon un auteur de théâtre pourrait protéger ses « idées », auxquelles, en dehors de leur expression, la protection n’a jamais été accordée [11].

Une œuvre originale doit contenir un degré d’originalité suffisant afin de bénéficier de la protection par le droit d’auteur et ne peut être seulement l’expression générique d’une idée. Ainsi quand nous disons que le droit d’auteur ne couvre pas les « méthodes opératoires » ou « idées » de l’œuvre, nous ne parlons pas d’absolus mais de continuum.

Dans l’affaire Whelan contre Jaslon (États-Unis) il a été admis que le même degré de protection s’applique à la fois aux autres œuvres littéraires et aux logiciels :

Bien que le Congrès fût conscient que les programmes informatiques posaient de nouvelles questions en regard de la loi sur le droit d’auteur, le Congrès n’a pas fait alors, ni ne l’a fait depuis, de restriction pour le classement et le séquencement dans le cadre des programmes informatiques. Il n’y a donc pas de base légale pour traiter les programmes informatiques différemment des autres œuvres littéraires de ce point de vue [12].

Les tribunaux ont rejeté toutes les requêtes appliquées aux programmes informatiques reposant sur le fait que l’aspect fonctionnel des programmes informatiques avait été exclu — puisqu’elles s’accordaient avec le rapport CONTU sur l’intention de protéger autant le « son de la musique sous forme audible » que la forme écrite.

Le mémoire d’amicus curiæ, ou « ami de la Cour », de l’AIPLA (American Intellectual Property Law Association, Association des avocats en propriété industrielle américaine) donne un aperçu très utile de la manière dont les tribunaux interprètent le niveau fonctionnel comme partie intégrante de l’aspect non littéral d’un programme informatique :

À la lumière des textes légaux et de l’histoire législative de la Section 102(b), les autres cours d’appel ont systématiquement rejeté l’argument que des éléments particuliers de programmes informatiques sont a priori des processus, des méthodes opératoires ou des idées, sans considérer s’ils contiennent une expression [13].

Dans de nombreux cas, les tribunaux ont analysé les programmes informatiques à tous les niveaux, y compris l’apparence, les niveaux fonctionnels, aussi bien que les codes source et objet. L’apparence fut aussi considérée comme du ressort du droit d’auteur bien qu’elle soit un « résultat fonctionnel » du programme informatique plutôt que des « lignes de code. »

Dans la loi sur le droit d’auteur des programmes informatiques, la méthode opératoire ou l’idée peut être décrite comme le « concept large » ou « la fonction globale » d’un programme. La protection par le droit d’auteur n’est pas accordée à ce concept mais seulement quand les fonctions de l’œuvre protégée sont suffisament développées pour constituer une expression.

Le juge Tacha expliqua dans l’affaire Mitel pourquoi le droit d’auteur devait logiquement couvrir tous les aspects des programmes informatiques :

Nous concluons que bien qu’un élément d’une œuvre puisse être caractérisée comme méthode opératoire, cet élément peut néanmoins contenir une expression qui est éligible à la protection par le droit d’auteur. La Section 102(b) ne restreint pas la protection accordée à une expression particulière d’une idée lorsque celle-ci est incluse dans une méthode opératoire d’un niveau d’abstraction supérieur. Au contraire, les sections 102(a) et (b) prises ensembles sécurisent les idées mises dans le domaine public et mettent de côté l’expression particulière d’un auteur pour examen ultérieur afin que la protection par le droit d’auteur « promeuve (...) les arts utiles ». Notre approche comparative de filtrage d’abstractions est destinée à atteindre cet équilibre [14].

Notez en particulier la référence à la fonctionnalité étant au « plus haut niveau d’abstraction », c’est important pour comprendre pourquoi les brevets sur les processus d’information sont si problématiques.

La nécessité de cette doctrine a aussi été soulignée dans l’affaire Altai :

En adoptant cette analyse en trois étapes, présentée plus haut, pour déterminer la similarité entre des éléments non littéraux de programmes informatiques, nous cherchons à nous assurer de deux choses : que les programmeurs puissent recevoir la protection appropriée pour les œuvres innovantes et utiles contenant une expression, et que les expressions techniques non protégeables puissent rester du domaine public afin que les autres les utilisent librement pour construire leur propres œuvres [15].

L’« expression technique non protégeable » ou « fonctionnalité globale » est nécessairement rendue au domaine public pour permettre aux auteurs de logiciels d’écrire des œuvres originales. La dichotomie entre idée et expression a été établie pour que la revendication de propriété intellectuelle d’idées abstraites en termes globaux ne puisse être faite. Les promoteurs des brevets nous demandent maintenant de renverser cette logique et d’autoriser la revendication de ces idées en elles-mêmes via la loi sur les brevets. Nous pouvons constater que le droit d’auteur demande que ces idées et prémisses de l’art soient retournés au domaine public afin de ne pas assécher la ressource.

Cela a été vu comme un point-clé de la décision du CONTU en 1978 d’appliquer le droit d’auteur plutôt que le droit des brevets aux programmes informatiques :

Le langage emphatique de la décision sur l’affaire Beardsley montre que la protection par le droit d’auteur des programmes ne menace pas de bloquer l’usage des idées ou les langages informatiques précédemment développés par d’autres, lorsque cet usage est nécessaire pour atteindre un certain résultat. Lorsque d’autres langages sont disponibles, les programmeurs sont libres de lire les programmes protégés et d’utiliser les idées qui y sont contenues pour écrirer leur propres œuvres. Cette pratique est bien évidemment impossible sous un sytème de brevets, où le processus lui-même est protégé [16].

M. Cameron reconnut l’importance actuelle de ce principe dans un discours tenu à la conférence BILETA de 2002 :

L’utilisation d’œuvres anciennes comme « aide-mémoire » est nécessaire à la liberté de mouvement des programmeurs [17].

Les promoteurs des brevets renvoient souvent à la Directive sur le droit d’auteur concernant les logiciels de 1991, dans une tentative d’avancer que les « idées et principes » sont ouverts au droit des brevets parce qu’ils sont exclus du champ du droit d’auteur, de la même manière qu’aux États-Unis :

considérant que, pour éviter toute ambiguïté, il convient de préciser que seule l’expression d’un programme d’ordinateur est protégée et que les idées et les principes qui sont à la base des différents éléments d’un programme, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la présente directive [18] ;

Ceci est essentiellement un rappel des principes de dichotomie qui ont été établis pour éviter que le droit d’auteur soit étendu aux « idées sous-jacentes » d’une œuvre et laisser ces idées dans le domaine public.

Dans l’affaire Ibcos (1994) Jacobs J. montra que l’exclusion des idées de la loi sur le droit d’auteur n’est pas un absolu [NdT : mais un continuum] dans aucun des champs du droit d’auteur, et les programmes informatiques ne font pas partie d’un champ différent :

La vérité sur cette position est que lorsqu’une idée est suffisamment générale, alors même si une œuvre originale la contient, le seul emprunt de cette idée ne constitue pas une infraction. Mais si l’idée est détaillée, il peut y avoir infraction. C’est une question de degré. il en est de même quant à savoir si une œuvre est fonctionnelle ou non, visuelle ou littéraire [19]...

En d’autres mots, le droit d’auteur couvre un scénario en tant qu’inclus dans une œuvre littéraire (même si on pourrait le qualifier d’ « idées »), mais seulement parce qu’il est suffisament détaillé pour se différencier du concept générique. Shakespeare aurait pu déposer le scénario de Roméo et Juliette et quelqu’un copiant le scénario non littéralement, en nommant ses rôles Robert et Martine et en changeant les mots, commettrait une infraction. Mais Shakespeare n’aurait pas pu protéger le concept d’ « une histoire d’amour caractérisée par le suicide et la tragédie » car cela lui permettrait d’empêcher d’autres créations indépendantes d’autres auteurs. Manifestement il n’y a pas de limite parfaite entre idée et expression, mais comme le juge Learned Hand le nota il y a un point dans la série d’abstractions où l’idée devient trop générale pour être protégée — et ceci nécessite une interprétation humaine pour juger de chaque cas.

Le droit d’auteur n’a pas été un régime littéral pendant des siècles ; décrire l’expression d’un programme informatique comme étant seulement des « lignes de code » est une simplification grossière. Si le droit d’auteur était littéral, on pourrait plagier l’œuvre du voisin substantiellement et ne pas enfreindre la loi, ou bien encore traduire un programme dans un autre langage de programmation. De même, il est accepté que la protection par le droit d’auteur inclut une expression unique à tous les niveaux et aspect d’un programme informatique. Aussi lorsque le texte dit « les programmes informatiques doivent être protégés comme des œuvres littéraires » le mot « programme informatique » pourrait aussi bien être remplacé par « traitement de données » bien que la définition large, ou le concept sous-jacent du traitement ne soit pas dans le champ du droit d’auteur.


Interactions négatives entre brevets et droit d’auteur au préjudice déloyal des intérêts légitimes des auteurs

Sous le régime du droit d’auteur, l’auteur doit prouver que l’expression unique avec la forme sous laquelle il a exprimé ses idées a été substantiellement copiée :

Dans n’importe quel procès pour infraction au droit d’auteur, le plaignant doit établir sa propriété d’un droit d’auteur valide et que le défenseur a copié son œuvre protégée [20].

Dans l’affaire Ibkos (GB) Jacob J. affirma la nécessité d’établir si l’expression avait été copiée avant de constater une infraction et fournit un test utile à cet effet :

  1. Quelle est (ou quelles sont) l’œuvre (ou les œuvres) dans laquelle (ou lesquelles) le plaignant réclame le droit d’auteur ?
  2. Ces œuvres sont-elles originales ?
  3. Y a-t-il eu copie de ces œuvres ?
  4. S’il y a eu copie, une part substantielle de ces œuvres a-t-elle été copiée [21] ?

La charge de la preuve pour les brevets est entièrement différente puisqu’il est présumé qu’ils sont valides en tant que titre automatique pour utiliser l’ « idée » ou le « procédé ».

S’il était reconnu que les programmes informatiques peuvent être conjointement des inventions et des œuvres littéraires, la nature des procédés brevetés signifierait que les auteurs pourraient violer un brevet en écrivant des œuvres utilitaires originales. Les auteurs de logiciels écrivent des programmes informatiques afin de les exécuter sur un ordinateur. Personne n’achète de logiciel pour les conserver sous forme littérale sur un disque et le droit d’auteur n’a jamais prétendu que ce fût le cas. Afin d’avoir la moindre valeur, un programme doit être vendu comme correspondant à un usage. La directive sur le droit d’auteur des logiciels de 1991 admet que le chargement et l’exécution sont si nécessaires que l’auteur ne peut les interdire par contrat :

[considérant] que cela signifie que les opérations de chargement et de déroulement nécessaires à l’utilisation d’une copie d’un programme légalement acquis, ainsi que la correction de ses erreurs, ne peuvent pas être interdites par contrat [22] ;

Mais un procédé breveté par une tierce partie pourrait couvrir l’effet d’un programme informatique sur une machine en le décrivant en terme de « fonction » générique. Ceci rend le programme informatique inutile. L’auteur du logiciel et ses usagers seraient alors en infraction avec ce brevet chaque fois qu’ils exécuteraient le programme original sur un ordinateur.

Le docteur Swen Koebinger, examinateur à l’office allemand des brevets, remarquait également ceci dans une présentation :

Le programme est protégé par le droit d’auteur sous toute forme. Quiconque possède légalement le programme exécutable ou une copie de l’exécutable, a acquis le droit d’utiliser ses fonctionnalités et en outre de les vendre ou permettre qu’on les utilise. Si ce droit [était dénié], le programme pour [l’usager] ainsi que pour l’auteur seraient inutiles [23].

Soudainement, l’œuvre de l’auteur est sans valeur, ou pire encore : une responsabilité.

Une étude suédoise qui a analysé le principe de la règle des exceptions mineures concluait que :

toutes les formes d’exploitation d’une œuvre, qui ont acquis, ou qui sont susceptibles d’acquérir, une importance économique ou pratique considérable doivent être réservées aux auteurs [24].

La brevetabilité est étrangère à tout autre champ du droit d’auteur. Un romancier est libre de mentionner un produit ou un procédé dans son livre sans craindre d’enfreindre un brevet puisqu’il ne décrit pas un procédé et les lois sur les brevets et le droit d’auteur n’interfèrent pas car ils protègent des choses différentes. Mais un auteur de logiciel qui écrit une œuvre utilitaire pourrait réellement violer un brevet en écrivant une œuvre originale sans vouloir volontairement copier l’expression de quelqu’un d’autre. De plus la revendication du brevet n’est pas sur l’œuvre elle-même mais sur une description générale de « ce que fait cette œuvre », c’est-à-dire le « plus haut niveau d’abstraction » mentionné par le juge Tacha.

Comprendre la manière dont les programmeurs écrivent un logiciel est très important pour comprendre la nature des logiciels. Dans l’affaire Whelan contre Jaslow (États-Unis), les procédures utilisées par un programmeur furent commentées pour aider à comprendre comment un programme informatique vient au jour :

La création d’un programme se déroule en plusieurs étapes, allant du général au particulier. Puisque les programmes sont censés accomplir des tâches particulières, le premier stade de la création d’un logiciel est d’identifier le problème que le programmeur tente de résoudre [25].

Nous pouvons voir ici que les programmeurs utilisent une méthodologie descendante en identifiant premièrement une tâche à accomplir (ou un problème à résoudre) et établissent ensuite en termes larges une méthode et un système pour accomplir cette tâche. Ceci est l’ « idée non protégeable » par le droit d’auteur car c’est un concept abstrait et général.

Dans Spivak, ceci fut aussi noté :

Au plus bas niveau d’abstraction, un programme informatique peut être vu comme constitué entièrement d’instructions individuelles organisées en hiérarchies de modules. À un niveau supérieur d’abstraction, les instructions du niveau le plus bas peuvent être remplacées conceptuellement par les fonctions de ces modules. Au fur et à mesure de la progression vers des niveaux d’abstraction supérieurs, les fonctions des modules supérieurs remplacent conceptuellement l’implémentation de ces modules en termes de modules de niveau inférieur et d’instructions, jusqu’à ce que finalement il ne reste plus que la fonction ultime du programme... Un programme est structuré à tous les niveaux d’abstraction auxquels il est vu. Aux niveaux les plus bas, la structure d’un programme peut être très complexe mais au plus haut niveau, elle est triviale [26].

Il est donc simple de comprendre à partir de cela pourquoi les auteurs de logiciels trouvent complètement désastreux les brevets génériques sur des « méthodes et systèmes » de traitement de données, puisque ceux-ci décrivent seulement le concept au niveau fonctionnel le plus générique. Il devient clair que breveter ces idées sous-jacentes au niveau le plus haut d’abstraction, au niveau le plus « trivial », cause un préjudice déloyal à l’auteur et conduit à des brevets trop étendus et trop « triviaux ». De plus, cela préempte des milliers d’expressions qui pourraient accomplir la même tâche.

Non seulement cela ouvre la porte à un titulaire de droits qui revendiquerait des « idées génériques » dans des termes extrêmement larges mais cela autoriserait ce titulaire de droits à extorquer de l’argent de n’importe quel auteur de logiciel qui écrirait un tel concept de manière indépendante dans sa propre œuvre utilitaire.

Le docteur Swen Koebinger, examinateur à l’office allemand des brevets et des marques déposées, notait :

Protéger le principe fonctionnel du logiciel au lieu de la solution actuelle étend surtout [les critères de brevetabilité] d’une manière telle que les éléments individuels d’un logiciel sont toujours soustraits de la garantie de liberté commune accordée par [la loi sur les droits d’auteur]. Pour les auteurs de logiciels cela représente une restriction intolérable [27].

Ainsi non seulement le droit d’un auteur à produire et profiter de son œuvre est directement perturbé, mais son droit à la liberté d’expression est également dénié, puisque le niveau conceptuel lui-même est dénié. Si cela n’est pas un préjudice déloyal, qu’est-ce ? À l’horizon se profile une décision à prendre. Les concepts intellectuels abstraits et les mathématiques peuvent-ils être brevetés pourvu qu’ils se rapportent à une « machine » ou un « procédé » informationnel, ou ces principes relèvent-ils toujours du domaine public ?

Le problème majeur avec les brevets logiciels est le fait qu’ils sont arbitrairement étendus ; ils ne se rapportent pas à un produit ou un procédé physique mais principalement à une idée abstraite structurée dans un procédé exécuté par un ordinateur suivant une description donnée. Après avoir discuté avec M. Erik Josefsson de la FFII, ce dernier a retenu ce principe avec justesse dans son résumé du problème :

Avec le droit d’auteur, l’objet légal est le code et les infractions litigieuses sont résolues selon l’interprétation de cet objet.

Avec les brevets... l’objet légal est l’abstraction et le travail d’interprétation des infractions est basé sur cet objet (pas le code). Avec les brevets (normaux), c’est normal puisque vous ne pouvez apporter un bulldozer dans un tribunal. Avec les brevets logiciels (une instruction pour une personne qualifiée dans [l’art] d’exécuter des procédés informatiques), vous pouvez arguer qu’il n’y a aucune « limite supérieure » à l’abstraction. L’abstraction peut être arbitrairement abstraite (étendue) [28].

C’est le problème pour les titlulaires légitimes de droits dans le logiciel et pour la société toute entière. Il n’existe aucun moyen de restreindre de manière adéquate un brevet sur une abstraction autrement qu’en divulguant le code source ou l’expression. Mais si le code source est divulgué (au point où le programme informatique lui-même peut être reconstruit à partir des spécifications jusqu’au même point qu’un produit matériel), la protection n’est pas plus étendue qu’avec le droit d’auteur puisqu’elle serait restreinte à l’originalité du code.

Le rapport de la FTC (Federal Trade Commission, Commission fédérale du commerce) des États-Unis commentait en 2003 :

Éviter l’infraction peut aussi être empli d’incertitude, car les limites d’une revendication de brevet logiciel sont souvent ambiguës [29].

Ainsi, on voit bien pourquoi le droit d’auteur fut choisi en 1978 pour les programmes informatiques, puisqu’en autorisant un degré d’interprétation pour juger dans quelle mesure il y a expression et non pure idée, nous autorisons la bonne profondeur de champ au droit d’auteur pour protéger véritablement l’œuvre de l’auteur alors que les idées générales sont laissées dans le domaine public.

Une étude de Bessen et Maskin sur l’innovation séquentielle avertissait :

Ceci suggère un avertissement concernant la protection de la propriété intellectuelle. Le point de vue selon lequel « plus est toujours mieux » est incorrect ; il faut plutôt ici une approche équilibrée. La règle idéale de brevetabilité limiterait l’imitation « voleuse » mais autoriserait les développeurs qui feraient des contributions complémentaires similaires mais potentiellement valables. Dans cette optique, la protection des programmes informatiques par le droit d’auteur (qui a suivi sa propre évolution sur la dernière décennie) pourrait avoir atteint un meilleur équilibre que la protection par brevets [30].

Le système des brevets propose un modèle inférieur à tous points de vue dans le domaine du logiciel. Les concepts fonctionnels eux-mêmes sont revendiqués de manière étendue en tant que systèmes ou méthodes et provoquent un préjudice à tous les sens du terme envers les auteurs de logiciels. À la fois par leur manière préemptive d’oblitérer le droit à l’auteur d’avoir une idée pour un programme, mais également dans le sens de rendre le droit d’auteur inutile puisque l’auteur est en infraction du fait même d’écrire un tel programme.

Effectivement, ceci prive l’auteur de logiciel d’une opportunité de revenu puisque, ainsi qu’il apparaît au travers de la loi sur le droit d’auteur, l’ « expression », l’ « idée » et la « fonction » du programme sont totalement imbriquées — par essence, dans la loi moderne sur le droit d’auteur, l’idée ou la fonction globale est réputée être le squelette de l’expression elle-même.

Le critère de nouveauté ne protègera pas l’auteur de ce préjudice car l’« originalité » est l’ingrédient clé de son œuvre qu’il doit montrer afin d’être protégé par le droit d’auteur. C’est pourquoi tout auteur, par définition, innove ou produit quotidiennement des idées « nouvelles » et « non évidentes » en « tissant » ces idées dans son œuvre. Avec les brevets chaque idée fonctionnelle qu’il place dans son œuvre pourrait le placer en situation de violation de brevets.

Hartmut Pilch de la FFII ajoute à l’analyse :

Généralement, certaines des idées dans l’œuvre du programmeur seront nouvelles et non-évidentes selon les normes (intrinsèquement de bas niveau) du système de brevets. Lorsqu’un bon nombre de ces nouvelles idées est breveté, il devient impossible d’écrire un logiciel sans enfreindre des brevets. Les auteurs de logiciel sont de ce fait privés des avantages conférés par leurs droits d’auteur ; ils vivent sous la menace permanente d’un chantage de la part des détenteurs de larges portefeuilles de brevets. En conséquence, moins de logiciels sont écrits et peu de nouvelles idées apparaissent. [31].

Certains aiment à soutenir que les « limitations et exceptions » aux droits des auteurs ne sont applicables qu’aux limitations à l’intérieur du régime de droit d’auteur comme l’ « usage honnête » (fair use). Mais cela ne coïncide pas avec les traités et la jurisprudence qui affirment que le critère de préjudice déloyal est ce qui doit prévaloir lors d’une décision sur ce qui constitue une limitation ou une exception.

Un jugement rendu à l’OMC concernant le champ d’application de la doctrine des limitations et exceptions dans le droit d’auteur est connu sous le nom d’« exception de domicile ». Les États-Unis (maintenant un bastion de la brevetabilité logicielle) firent les commentaires suivants à propos de la manière de juger les droits exclusifs des auteurs selon ce critère :

Les États-Unis soutiennent que « [l]e texte de l’article 13 est très direct et s’applique “aux limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits”. Non pas à certaines limitations, non plus qu’à des limitations de certains droits exclusifs [32] ».

De l’avis des États-Unis, l’élement déterminant de la doctrine des exceptions mineures est qu’une limitation ou exception doit être de caractère minime pour être admissible [33].

Le comité de l’OMC s’accorda avec les deux parties avec les considérations suivantes :

Le libellé de l’article 13 n’énonce pas une limitation expresse en fonction des catégories de droits relevant du droit d’auteur auxquelles il peut s’appliquer. Il indique que des limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits ne peuvent être mises en place que si trois conditions sont remplies : 1) les limitations ou exceptions sont restreintes à certains cas spéciaux ; 2) elles ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ; et 3) elles ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit. Comme les deux parties en conviennent, ces trois conditions s’appliquent de manière cumulative ; une limitation ou une exception n’est compatible avec l’article 13 que si elle satisfait à chacune des trois conditions [34].

Nous estimons qu’une exception ou limitation concernant un droit exclusif qui est prévue dans la législation nationale va jusqu’à porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre (c’est‑à‑dire au droit d’auteur ou plutôt à tout l’ensemble de droits exclusifs conférés par la titularité du droit d’auteur), si des utilisations, qui en principe sont visées par ce droit mais bénéficient de l’exception ou de la limitation, constituent une concurrence aux moyens économiques dont les détenteurs du droit tirent normalement une valeur économique de ce droit sur l’œuvre (c’est‑à‑dire le droit d’auteur) et les privent de ce fait de gains commerciaux significatifs ou tangibles [35].

De plus le Groupe spécial de l’OMC trouva un accord avec l’Union européenne sur le fait qu’en vue de quantifier le préjudice causé à l’auteur le préjudice « potentiel » devait également jouer un rôle dans la détermination de l’étendue de ce dont un titulaire de droits pourrait souffrir en dommage résultant, en plus du dommage existant quantifiable.

Les auteurs de logiciel pâtissent doublement des brevets logiciels. D’un côté leur capacité à délivrer au public des copies de leurs œuvres (droit de publication) subit un préjudice déloyal du fait de la menace de litiges avec des brevets lorsque le logiciel est utilisé dans le but pour lequel il est écrit.

Plus encore, si le niveau de fonctionnalité est disjoint de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, tout auteur de logiciel, américain, européen ou autre, qui souhaite prouver une violation du droit d’auteur substantielle et non littérale voit le champ de protection artificiellement rétréci essentiellement parce qu’il écrit une œuvre utilitaire. Ceci signifie à son tour que l’obligation de protéger un programme informatique comme une œuvre littéraire, devant logiquement inclure la violation non littérale, a été sérieusement érodée.

Wikipedia fait l’observation suivante sur la nature du test en trois étapes :

Le test en trois étapes peut se révéler extrêmement important si une nation venait à tenter de réduire le champ du droit d’auteur, car à moins que l’OMC décide que leur modification satisfait au test, un tel état encourrait probablement des sanction commerciales [36].

Dit simplement, les brevets logiciels échouent aux trois étapes du test [37],

  1. une fois accordés, ils deviennent une règle et non une exception ;
  2. ils sont en conflit avec une exploitation normale d’une œuvre originale écrite indépendamment par ses auteurs ;
  3. Ils sont déraisonablement préjudiciables aux intérêts légitimes des auteurs de logiciels.

Même si nous pouvions définir l’exploitation comme un droit purement économique comme les États-Unis le soutinrent dans le dernier exemple (le comité rejeta une définition si étroite), les brevets échoueraient toujours à ce test sous une définition purement financière.

Bien que la Convention de Berne et l’Accord sur les ADPIC émirent des avis pour une protection plus rigoureuse, cette protection ne doit pas contrevenir aux clauses existantes. À Berne, il fut dit clairement qu’une telle extension de protection pourrait donner aux auteurs des droits plus rigoureux, mais puisque nous rétrécirions le champ des droits des auteurs au profit d’un nouveau titulaire de droits, il était clair que les brevets logiciels n’atteignent pas cet objectif. De même avec les ADPIC, la protection doit se conformer aux articles 10 et 13 et est aussi comprise comme devant inclure les articles 1 à 21 de la Convention de Berne (à l’exception des droits moraux) en ce qui concerne les programmes informatiques.

Le droit international a correctement reconnu que programmer (ou écrire) des logiciels est une tâche intellectuelle et que les droits doivent être donnés aux auteurs qui écrivent le code, plutôt qu’à ceux qui soumettent des brevets sur les idées qui sous-tendent le code. Il est temps que les législateurs mettent un terme une fois pour toutes à l’ambiguïté sur la brevetabilité logicielle qui a duré près de trois décennies et qu’ils réaffirment ce qu’ils avaient déjà déclaré dans pas moins de trois traités internationaux.

Quelle que soit l’étendue du droit d’auteur au-delà du code littéral, ou l’étendue qu’on souhaiterait lui donner, il est hors de doute que les brevets sur les traitements de données interfèrent de manière déloyale avec les droits des auteurs de logiciels. C’est pourquoi il est logique de considérer que les brevets logiciels contreviennent au Traité sur le droit d’auteur de l’OMPI, à l’Accord sur les ADPIC et à la Convention de Berne, qui disent tous que toute limitation ou exception aux droits exclusifs des auteurs ne peut être déloyalement préjudiciable.

Une telle censure, une telle entrave à la liberté d’expression des créateurs de logiciels est un anathème dans une société libre, et une violation du Premier amendement. Les brevets logiciels sont une violation majeure du droit à l’expression des programmeurs malgré que ce fait soit encore peu connu ; c’est peut-être en partie parce que la plupart des juristes, juges et politiciens sont encore insuffisamment formés à la problématique des ordinateurs pour réaliser qu’écrire un logiciel est réellement une forme d’écriture, guère plus ésotérique que la composition musicale, les mathématiques, la rédaction d’articles scientifiques ou, en l’occurence, de textes de loi. Toutes ces formes d’expression, y compris l’écriture de programmes, méritent une protection totale selon le Premier amendement [38].


Les brevets sur le logiciel comme brevets sur des pensées abstraites et mathématiques

Les logiciels débutent comme une idée abstraite et progressent à travers des étapes spécifiques jusqu’à ce qu’un programme littéral émerge [39].

L’abstraction telle que je la présentais au début est un « bien collectif » appartenant à l’humanité. Je ne suis pas le seul à affirmer cela. Historiquement, à la fois aux États-Unis et en Europe, les gouvernements et les tribunaux ont été réticents à appliquer la loi sur les brevets aux logiciels, en partie parce qu’ils étaient exclus du sujet et d’autre part à cause d’une doctrine qui a décliné aux États-Unis mais a survécu en Europe.

Cette doctrine se nomme « la théorie des étapes mentales ». Elle est née de la nécessité d’empêcher de revendiquer comme propriété intellectuelle brevetée des concepts ou méthodes intellectuels abstraits pour conduire des actes mentaux. Aux États-Unis cette doctrine remonte à un siècle avec l’affaire LeRoy contre Tatham :

Les phénomènes de la nature, même si découverts récemment, les processus mentaux, les concepts intellectuels abstraits ne sont pas brevetables, car ils sont les outils de base du travail scientifique et technologique [40].

La raison pour laquelle une distinction entre une invention physique et un processus purement abstrait est nécessaire est — dit simplement — que Newton ne pouvait pas posséder la gravité parce qu’il l’avait découverte et qu’elle se rapportait à une connaissance potentiellement technique ou à des valeurs du monde réel.

Il aurait pu posséder une expression unique de l’idée sous le régime du droit d’auteur mais l’idée elle-même ne peut être possédée par un individu, ni sous le droit d’auteur ni ous le droits des brevets, car bien que le processus décrit puisse l’être dans un langage physique, le concept en lui-même est une abstraction, tant qu’il ne résulte en de véritables « nouveaux » procédés physiques.

Un principe, dans l’abstrait, est une vérité fondamentale, une cause originelle, un moteur. Ceux-ci ne peuvent être brevetés, car personne ne peut prétendre à un droit exclusif sur aucun d’entre eux [41].

C’est toujours le principe fondateur du droit actuel des brevets. About.com, un site d’information très connu, note que :

Ne peuvent être brevetés : les lois de la nature, les phénomènes physiques, les idées abstraites, la littérature, le théâtre, la musique et les œuvres artistiques (qui peuvent être protégées par le droit d’auteur) [42].

Dans l’affaire Gottshalk contre Benson, il fut montré que revendiquer un algorithme utilisé par un ordinateur équivaut à un brevet sur un algorithme mathématique en tant que tel et que c’était non brevetable puisque cela reviendrait à breveter une loi de la nature ou une idée,

Il est concédé que personne ne peut breveter une idée. Mais en pratique c’est ce qu’il adviendrait si, dans ce cas la formule pour convertir un nombre BCD (décimal codé en binaire) en binaire pur était brevetée. La formule mathématique impliquée ici n’a aucune application pratique substantielle, excepté en connexion avec un ordinateur, ce qui signifie que si ce jugement était positif, le brevet préempterait totalement la formule mathématique et son effet pratique serait de breveter l’algorithme lui-même [43].

Une revendication pour un programme qui allumait une alarme dans un convertisseur catalytique fut aussi rejetée dans l’affaire Parker contre Flook en raison du manque d’activité entrant en jeu après que la solution a été établie :

Le défenseur plaide à juste titre que ce langage ne correspond pas à sa requête. Il ne cherche pas à « préempter totalement la formule mathématique », puisqu’il est fait usage de cette formule en dehors de l’industrie pétrochimique et de raffinage du pétrole et qu’elle reste dans le domaine public. Et il argue de la présence d’une activité spécifique — l’ajustement de la limite de l’alarme à la valeur calculée par la formule — entrant en jeu après que la solution a été établie, qui distinguerait ce cas de l’affaire Benson et rendrait ce procédé brevetable. Nous ne pouvons être d’accord.

La notion que l’activité entrant en jeu après que la solution a été établie — que cette activité soit conventionnelle ou évidente — puisse transformer un principe non brevetable en un procédé brevetable exalte la forme au détriment de la substance [44].

De même en Grande-Bretagne, dans l’affaire Fujitsu, M. le juge Laddie estima :

Que, dans ces circonstances, les raisons de l’échec soient réputées être que l’invention est seulement pour un programme ou que c’est, par exemple, une méthode pour faire une action mentale est une affaire de sémantique[M. le juge Laddie - demande de Fujitsu [1997] EWCA Civ 1174 (UK 1997) ]].

Le rapport CONTU, à nouveau, fit une observation judicieuse sur la nature des programmes informatiques. Il remarqua qu’un programme informatique en lui-même ne fournissait aucune connaissance dans le domaine de la machine. Les programmes informatiques sont des instructions, ils ne peuvent faire faire à un ordinateur autre chose que ce qui était prévu — quand nous programmons, nous utilisons un raisonnement abstrait pour faire « digérer » à l’ordinateur et y afficher, transmettre et recevoir des données. Que ce soit des données du système (qui sont en rapport d’une manière ou d’une autre avec le matériel) ou des données « non-techniques » est hors sujet du point de vue des programmeurs. Les données sont de l’information. Dans tous les cas, un programme informatique ne produit pas d’« interaction anormale » avec le matériel puisque le matériel a été conçu dans le but de traiter cette information.

Les programmes ne devraient pas plus être considérés comme des parties de la machine que les bandes vidéos ne sont considérées comme étant une partie d’un magnétoscope ou que des disques ne sont des parties d’une chaîne hifi... Dans ces trois cas, le média dans lequel le matériel protégé par le droit d’auteur est stocké est déplacé via un équipement à une vitesse définie, causant la circulation d’un courant électrique et résulte à la fin dans le mouvement de certaines parties de la machine pour écrire des mots, afficher des images ou créer des sons. Tous ces événements peuvent se produire via l’utilisation de machines sans les alimenter par des œuvres protégées [45].

François Pellegrini notait aussi ce point dans un débat public :

Le logiciel qui opère dans un magnétoscope ne manipule que de l’information symbolique, qui n’a aucun effet technique en elle-même. C’est lorsque cette information symbolique est transformée en actions matérielles, par le moyen de périphériques (brevetables), que les effets techniques peuvent se produire [46].

L’office allemand des brevets traita le problème dès 1976, d’une manière qui n’a probablement jamais été égalée depuis en exaustivité et en clarté. La cour rendit cet avis à la suite d’une requête concernant un programme informatique :

De ce point de vue, une invention brevetable est une instruction pour une action se conformant à un plan utilisant des forces de la nature contrôlables afin de produire un résultat tangible et vérifiable. Il est hors de doute qu’une règle de calcul ou d’organisation, telle que décrite dans ce dépôt de brevet, constitue une instruction pour une action se conformant à un plan et que l’exécution de cette instruction mène à un résultat tangible et vérifiable. Cependant ce résultat satisfaisant n’est pas atteint par l’usage de forces de la nature. Il est décrit par quels procédés de tri et de calcul certains problèmes comme des problèmes de répartition peuvent être résolus, cependant cette solution ne requiert pas l’utilisation de moyens techniques. Toute personne disposant des connaissances nécessaires en commerce et en mathématiques peut utiliser ces règles pour résoudre de manière valable le problème de répartition [47].

Toute tentative de faire protéger des réalisations mentales au moyen de l’extension des limites de l’invention technique — et par là même, abandonnant en fait ce concept — conduit à une chemin interdit. Nous devons donc insister sur le fait qu’une pure règle d’organisation et de calcul, dont la seule relation au domaine de la technologie consiste en son utilisation pour l’opération d’un ordinateur donné, ne correspond pas à la protection par le brevet [48].

Certains disent qu’en raison de l’accroissement de puissance des ordinateurs de nos jours et leur capacité à exécuter une variété d’applications ceci est moins valable maintenant qu’en 1976, mais les principes demeurent importants, nous rappelant la nécessité d’une limite à tracer entre résultat intellectuel et industriel et la nécessité de savoir les différencier. Les concepts intellectuels abstraits sont toujours — et ont toujours été — « les outils de base du travail intellectuel et technique » qui doivent être accessibles à tous.

Les ordinateurs, à la différence d’autres machines, sont uniques au sens où ils exécutent de la logique et peuvent utiliser celle-ci pour donner un résultat tangible et vérifiable [49]. Mais les enseignements du programme ne concernent pas des forces naturelles telles que l’électricité qui grésille le long des circuits. Nous pourrions décrire une calculatrice comme une machine qui calcule et la décrire en langage physique : en termes d’électrons qui circulent à travers le panneau solaire, puis dans les circuits et produisent des chiffres affichés sur l’écran LCD, mais cela ne signifie pas que les nombres qui sont produits par la calculatrice peuvent être traités comme des entités physiques qui peuvent être possédées de la même manière qu’un produit physique, même si la formule de calcul améliore un procédé de calcul. Comme cela a été noté, revendiquer la propriété d’un algorithme relatif au fonctionnement d’un ordinateur n’est en rien différent de revendiquer une loi de la nature. De même, les concepts dans un programme sont liés à une valeur symbolique abstraite. Ils peuvent être techniques au sens où ils peuvent être appliqués efficacement à l’industrie de la même manière que le théorème d’Einstein, mais cela ne les rend pas moins abstraits dans leur nature.

Dans l’affaire IBM, l’erreur fondamentale qui fut faite fut d’élargir la brevetabilité au domaine du traitement de données. Le bureau de l’OEB jugea que :

Dans la décision T 208/84, la méthode revendiquée est brevetable bien qu’elle puisse être mise en oeuvre au moyen d’un matériel connu programmé de manière appropriée, car elle apporte une contribution dans un domaine non exclu de la brevetabilité, à savoir qu’elle permet d’améliorer la qualité technique d’une image lorsqu’elle est produite. De la même façon, dans la décision T 26/86, le dispositif revendiqué est brevetable même si l’équipement radiologique sans le programme d’ordinateur est connu ; en effet, il apporte une contribution dans un domaine non exclu de la brevetabilité, en permettant la commande de tubes radiogènes de façon à obtenir une exposition optimale avec une sécurité suffisante contre la surcharge de ces tubes [50].

Le temps de l’analyse nous montre néanmoins ce qui est erroné dans cette comparaison. Dans le cas de la machine à rayons X, l’ « effet technique » est trouvé dans le fonctionnement physique de l’appareil à rayons X — c’est ce en quoi consiste l’invention et donne donc une connaissance physique plutôt qu’abstraite. Un programme informatique en lui-même pourrait être réputé améliorer une image mais ne produit aucun effet technique sur le moniteur ou sur aucun matériel, il n’est rien de plus qu’un programme informatique ou un ensemble d’instructions mathématiques en soi.

Pour produire un tel effet physique qui aille au-delà des « interactions physiques normales » et donne une connaissance dans une science naturelle appliquée, il faudrait faire fonctionner le moniteur ou le matériel informatique d’une manière non prévue à l’origine. Un effet technique pourrait légitimement avoir été fondé seulement si la cathode du tube du moniteur ou le matériel de l’ordinateur fonctionnait d’une manière qui n’ait jamais été vue par des moyens conventionnels et qui soit en elle-même une invention. Mais si nous réféchissons un moment, nous pouvons voir qu’il n’est pas possible qu’un logiciel s’exécutant sur un ordinateur produise un tel changement.

Le moniteur ne change pas la manière dont les électrons sont envoyés vers le tube quand nous installons un nouveau pilote. Pas plus que la tête du disque dur ne se déplacera différemment lorsque nous utiliserons un algorithme de compression amélioré.

Au lieu de ça, la machine continuera à afficher, traiter, stocker l’information de la même manière, celle qu’elle est supposée suivre. L’innovation réside totalement dans la structure informationnelle du progamme informatique qui est exclu de la brevetabilité. Le procédé purement logique et l’innovation abstraite furent désormais considérés comme « technique » parce que certaines « améliorations » non documentées ont pu être revendiquées ou que quelque effet physique présumé mais indéfinissable s’est produit. La description de l’invention ne se cantonne pas à un nouveau processus physique mais aborde des fonctions abstraites qui sont exécutées sur une machine à calculer.

L’affaire Vicom fut la décision qui ouvrit la brevetabilité logicielle à l’OEB et cela se fit sur une logique absurde. L’OEB donna l’explication suivante à sa décision :

Un calculateur de type connu agencé pour fonctionner selon un programme nouveau ne saurait être considéré comme faisant partie de l’état de la technique tel que défini à l’article 54(2) CBE.

Cela ressort particulièrement à l’évidence en la présente espèce, où les revendications 8 à 11 couvrent également et sans équivoque et l’utilisation d’un matériel spécial pour lequel des indications sont données dans la description, et des solutions mixtes combinant du matériel spécial avec un programme approprié [51].

En fait, selon cette description, j’admettrais que le brevet Vicom soit valide à bon droit au motif qu’il y avait un nouveau matériel spécifique fonctionnant d’une nouvelle manière (un réel apport physique). Il pourrait sembler clair à partir de cela que le fonctionnement du matériel spécifique est ce qui a rendu la méthode brevetable et non abstraite. Mais dans le même temps il est dit également :

Si l’on utilise une méthode mathématique dans un procédé technique, ce procédé s’applique à une entité physique (qui peut être un objet matériel mais également une image mémorisée sous forme de signal électrique) par quelque moyen technique mettant en oeuvre la méthode et il en résulte une certaine modification de cette entité. Le moyen technique peut aussi consister en un calculateur comportant un matériel ad hoc ou un un calculateur universel programmé de manière appropriée [52].

Il apparaît nettement que ces phrases sont contradictoires. D’un côté la méthode n’est brevetable qu’en raison d’un nouveau fonctionnement physique du matériel — et il est concédé que les programmes informatiques ne peuvent produire cela par eux-mêmes. Mais dans le même raisonnement un programme informatique fonctionnant comme prévu sur un ordinateur courant pourrait (potentiellement) en lui-même être « technique » parce qu’il créerait une altération à un objet d’information pure qui n’existe que comme un signal électrique sur une puce (comme le font tous les logiciels).

Ainsi l’OEB a brisé la nécessité d’« apport physique » et est entré dans le domaine de l’abstraction et du processus mental humain pour des objectifs de brevetabilité reposant sur des bases très floues. C’est à partir de ce point que les pensées abstraites des auteurs de logiciels sont attaquables à cause du droit des brevets, bien que cela n’est apparu que des années plus tard car les tribunaux ont semblé très réticents à accepter ce raisonnement.

Certainement à la suite de ces cas britaniques, il y eu des divergences avec cette approche : des brevets furent refusés sur des programmes informatiques notamment dans l’afaire Gales, le brevet Genetech, l’affaire Merril Lynch ou Fujitsu, bien que le logiciel contienne des « fonctionnalités techniques » défendables comme la modélisation de structures cristallines. Dans ce cas, une étude attentive montre que les revendications étaient basées uniquement sur les programmes informatiques en tant que tels et ont été irrecevables. Alors qu’aucun juge n’a ouvertement critiqué les décisions du bureau de l’OEB, on peut voir dans les conséquences de ces affaires qu’il n’y avait pas de consensus sur ce qui est ou n’est pas « technique ».

Le raisonnement dans l’affaire Vicom concernant ce qui est une contribution technique n’est pas simple à confirmer[M. le juge Laddie - demande de Fujitsu (1997) EWCA Civ 1174 (UK 1997) ]].

Ceci reste vrai aujourd’hui, et les défenseurs actuels des brevets refusent de définir le terme « technique » de manière claire et assurent que « le logiciel en tant que tel » n’est pas technique.

Dans des cas plus récents, l’OEB a de plus en plus estimé que n’importe quel logiciel se rapportant au fonctionnement interne de la machine, ou à une sorte de « champ technique » externe non décrit, peut être un logiciel brevetable [53]. Mais cela fait une sacrée évolution depuis qu’en 1968, il a été clairement fait état de l’intention d’exclure les programmes informatiques de la brevetabilité et l’on peut voir d’après les litiges concernant le concept d’extorsion aux États-Unis, que les avertissements passés sont plus actuels que jamais.

La nécessité d’une « activité entrant en jeu après que la solution a été établie » [54], comme définie par la doctrine « des forces de la nature » [55] enraye la dérive des brevets accordés à des abstractions et donne une limite saine entre l’auteur et l’inventeur.

Allons plus loin : une innovation qui repose seulement sur le traitement de données ou sur de la pure information doit être expressément exclue de la brevetabilité au motif que les idées qui y sont incluses sont des concepts intellectuels abstraits ou des pures mathématiques. En dépit de ce que croient de nombreuses personnes, le droit d’auteur et les brevets ne sont pas « complémentaires » lorsqu’ils protègent le même élément « en lui-même » [56].


Annexes

 Résumé des traités internationaux

Dans l’Accord sur les ADPIC, on peut trouver les dispositions suivantes en ce qui concerne les programmes informatiques :

Article 10
Programmes d’ordinateur et compilations de données

  1. Les programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source ou en code objet, seront protégés en tant qu’oeuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne (1971).
  2. Les compilations de données ou d’autres éléments, qu’elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles seront protégées comme telles. Cette protection, qui ne s’étendra pas aux données ou éléments eux-mêmes, sera sans préjudice de tout droit d’auteur subsistant pour les données ou éléments eux-mêmes.

Article 13
Limitations et exceptions

Les Membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit.

Et dans le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur :

Article 4
Programmes d’ordinateur

Les programmes d’ordinateur sont protégés en tant qu’œuvres littéraires au sens de l’article 2 de la Convention de Berne. La protection prévue s’applique aux programmes d’ordinateur quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression.

Article 10
Limitations et exceptions

  1. Les Parties contractantes peuvent prévoir, dans leur législation, d’assortir de limitations ou d’exceptions les droits conférés aux auteurs d’œuvres littéraires et artistiques en vertu du présent traité dans certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
  1. En appliquant la Convention de Berne, les Parties contractantes doivent restreindre toutes limitations ou exceptions dont elles assortissent les droits prévus dans ladite convention à certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

 Les droits accordés à l’auteur de logiciel

Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur donne une indication précieuse quant aux droits exclusifs particulièrement appropriés à l’auteur de logiciel. Ceux-ci comprennent :

  • le droit de communication au public (y compris la mise à la disposition du public des œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée) ;
  • le droit de distribution (droit exclusif autorisant la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres par la vente ou tout autre transfert de propriété) ;
  • le droit de location (dans le cas du logiciel, cela peut être limité lorsque le programme lui-même n’est pas l’objet essentiel de la location.

Ces droits particuliers aux logiciels viennent en sus des droits exclusifs donnés aux auteurs d’œuvres littéraires par la Convention de Berne (avec l’exception des droits moraux dans les ADPIC), c’est-à-dire :

  • le droit de récitation :

(1) Les auteurs d’œuvres littéraires jouissent du droit exclusif d’autoriser :
(i) la récitation publique de leurs œuvres, y compris la récitation publique par tous moyens ou procédés ;
(ii) la transmission publique par tous moyens de la récitation de leurs œuvres.

  • le droit de traduction :

(2) Les mêmes droits sont accordés aux auteurs d’œuvres littéraires pendant toute la durée de leurs droits sur l’œuvre originale, en ce qui concerne la traduction de leurs œuvres.

  • le droit de reproduction
  • le droit de diffusion :

(1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser :
(i) la radiodiffusion de leurs œuvres ou la communication publique de ces œuvres par tout autre moyen servant à diffuser sans fil les signes, les sons ou les images ;
(ii) toute communication publique, soit par fil, soit sans fil, de l’œuvre radiodiffusée, lorsque cette communication est faite par un autre organisme que celui d’origine ;
(iii) la communication publique, par haut–parleur ou par tout autre instrument analogue transmetteur de signes, de sons ou d’images, de l’œuvre radiodiffusée.

Il est clair que l’intention de tous ces traités est que la littérature doit jouir de la même protection quelque soit la forme dans laquelle l’œuvre littéraire est présentée.

© Article original, 18 août 2004, Christian Beauprez, voir les droits attachés à cet article, traduction française Jean-Christophe Michel et Gérald Sédrati-Dinet.


Voir en ligne : Article original de Christian Beauprez


[4Report of the committee to examine the patent system and patent law (rapport de la commission pour examiner le système de brevets et le droit des brevets), présidé par Banks, M.A.L. - HMSO (UK), 1970. Cmnd 4407

[5Lord juge Dillon - Brevet de Genentech Inc (UK) [1989] RPC 147

[6Lord juge Fox - demande de brevet de Merrill Lynch (UK) [1989] RPC 561, page 569

[7To Promote the Progress of Useful Arts, Report of the President’s Commission on the Patent System (Promouvoir le progrès et les arts utiles, rapport du président de la Commission sur le système de brevets), page 13 - Washington, D.C. (1966)

[8Final Report of the National Commission on New Technology Uses of Copyrighted Works (CONTU) (Rapport final de la Commission nationale sur les nouveaux usages techniques des œuvres sous droits d’auteur)

[9Commissaire Nimmer - Final Report of the National Commission on New Technology Uses of Copyrighted Works (CONTU) (Rapport final de la Commission nationale sur les nouveaux usages techniques des œuvres sous droits d’auteur)

[16Final Report of the National Commission on New Technology Uses of Copyrighted Works (CONTU) (Rapport final de la Commission nationale sur les nouveaux usages techniques des œuvres sous droits d’auteur), chapitre 3

[19Jacobs J dans l’affaire Ibcos Computers contre Barclay’s Mercantile Highland Finance Ltd [1994] FSR 275 page 291-2

[21Jacobs J. dans l’affaire Ibcos Computers contre Barclays Mercantile Highland Finance Ltd

[23Dr. Swen Kiesewetter-Koebinger, examinateur de brevets à l’office allemand des brevets et marques déposées : Über die Patentprüfung von Programmen für Datenverarbeitungsanlagen, traduction en anglais : On the Patent Examination of Programs for Computers (Sur l’examen de brevets concernant les programmes d’ordinateurs)

[24Document S/1 : Convention de Berne ; Proposals for Revising the Substantive Copyright Provisions (Propositions pour réviser les dispositions substantielles du droit d’auteur), articles 1-20, préparé par le gouvernement suèdois avec l’aide du BIPRI (Bureaux pour la protection de la propriété intellectuelle, le prédécesseur de l’OMPI), p. 42

[26Steven R. Englund, Note, Idea, Process, Or Protected Expression ? : Determining The Scope Of Copyright Protection Of The Structure Of Computer Programs (Note, idée, procédé our expression protégée ? Déterminer l’étendue de la protection par le droit d’auteur de la structure des programmes informatoques), 88 MICH. L. REV. 866, 888-90, page 897-98 ; cf. Peter G. Spivak, Does Form Follow Function ? The Idea/Expression Dichotomy in Copyright Protection of Computer Programs (La forme suit-elle la fonctionnalité ? La dichotomie idée/expression dans la protection par le droit d’auteur des programmes informatiques), 35 UCLA L. REV. 723 (1988), page 774

[27Dr. Swen Kiesewetter-Koebinger, examinateur de brevets à l’office allemand des brevets et marques déposées : Über die Patentprüfung von Programmen für Datenverarbeitungsanlagen, traduction en anglais : On the Patent Examination of Programs for Computers (Sur l’examen de brevets concernant les programmes d’ordinateurs)

[29To Promote Innovation : The Proper Balance of Competition and Patent Law and Policy (Promouvoir l’innovation : l’équilibre adéquat de la loi et de la politique de la compétition et du brevet), rapport de la FTC (Federal Trade Commission, Commission fédérale du commerce) des États-Unis, octobre 2003

[37Voir également la remarque de Bernhard Kaindl

[40Affaire LeRoy contre Tatham, 55 US 167, 14 How. 156 (1852)

[42Inventors 101 sur About.Com : Beginner Information on Inventions for the independent inventor (Informations à destination des novices sur les inventions pour l’inventeur indépendant)

[44[M. le juge Stevens Parker, agissant en qualité de commaissaire des brevets et des marques déposées dans l’affaire contre Flook, Cour suprême des États-Unis, 437 U.S. 584, 198 USPQ 193]

[45Final Report of the National Commission on New Technology Uses of Copyrighted Works (CONTU) (Rapport final de la Commission nationale sur les nouveaux usages techniques des œuvres sous droits d’auteur)

[49Merci à Seth Johnson (New Yorkers for Fair Use, les New-Yorkais pour l’usage loyal) pour ses observations sur la nature unique des ordinateurs comme équipements logiques

[54Comme cela est souligné dans l’affaire Diamond contre Diehr US : 450 U.S. 175 (1981)

[55Comme on peut le trouver dans la jurisprudence allemande et dans la Proposition du Parlement européen en 1re lecture, le 24/09/03

[56Pour plus d’information sur ce sujet, voir également :
 Christian Beauprez, Why are Software Patents Illegal ? — A summary (Pourquoi les brevets logiciels sont-ils illégaux, résumé) ;
 Christian Beauprez, The Address to the FFII April 14th 2004 (Discours du 14 avril 2004 à la FFII) ;
 Jonas Maebe, The four major problems with the Council proposition) ;
 François Pellegrini, Pourquoi la question des brevets logiciels est mal posée